Un
homme se suicide, en réchappe et n’est pas plus détaché après qu’avant. Son
suicide était imaginaire. Le suicide l’est sans doute toujours, et c’est
pourquoi il est défendu.
Le temps, à proprement parler, n’existe pas (sinon le
présent comme limite), et pourtant c’est à cela que nous sommes soumis. Telle
est notre condition. Nous sommes soumis à ce qui n’existe pas. Qu’il s’agisse
de la durée passivement soufferte – douleur physique, attente, regret, remords,
peur – ou du temps manié – ordre, méthode, nécessité, – dans les deux cas, ce à
quoi nous sommes soumis, cela n’existe pas. Mais notre soumission existe. Nous
sommes réellement attachés par des chaînes irréelles. Le temps, irréel, voile
toutes choses et nous-mêmes d’irréalité.
Le trésor, pour l’avare, c’est l’ombre d’une imitation de
bien. Il est doublement irréel. Car un moyen (l’argent) est déjà, en tant que
tel, autre chose qu’un bien. Mais pris hors de sa fonction de moyen, érigé en
fin, il est encore plus loin d’être un bien.
C’est par rapport aux jugements de valeur que les sensations
sont irréelles ; c’est en tant que valeurs que les choses sont irréelles
pour nous. Mais l’attribution d’une fausse valeur à un objet ôte aussi de la
réalité à la perception de cet objet, car elle noie la perception dans l’imagination.
Ainsi le détachement parfait permet seul de voir les choses
nues, hors de ce brouillard de valeurs mensongères. C’est pourquoi il a fallu
les ulcères et le fumier pour que tût révélée à Job la beauté du monde. Car il
n’y a pas de détachement sans douleur. Et il n’y a pas de douleur supportée
sans haine et sans mensonge sans qu’il y ait aussi détachement.
L’âme qui a passé la tête hors du ciel mange l’être.
Celle qui est à l’intérieur mange l’opinion.
La nécessité est essentiellement étrangère à l’imaginaire.
Ce qui est réel dans la perception et la distingue du rêve, ce
n’est pas les sensations, c’est la nécessité enveloppée dans ces sensations.
« Pourquoi ces choses et non pas d’autres ? »
« C’est ainsi. »
Dans la vie spirituelle, l’illusion et la vérité se
distinguent de la même manière.
Ce qui est réel dans la perception et la distingue du rêve, ce
n’est pas les sensations, c’est la nécessité.
Distinction entre ceux qui restent dans la caverne, ferment
les yeux et imaginent de voyage et ceux qui le font. Réels et imaginaire aussi
dans le spirituel, et là aussi la nécessité fait la différence. Non la
souffrance simplement, car il y a des souffrances imaginaires. Quant au
sentiment intérieur, rien de plus trompeur.
Comment distingue-t-on l’imaginaire du réel dans le domaine
spirituel ?
Il faut préférer l’enfer réel au paradis imaginaire.
Ce qui distingue les états d’en haut de ceux d’en bas, c’est,
dans les états d’en haut, la coexistence de plusieurs plans superposés.
L’humilité a pour objets d’abolir l’imaginaire dans le
progrès spirituel. Aucun inconvénient à se croire beaucoup moins avancé qu’on n’est :
la lumière n’en opère pas moins son effet, dont la source n’est pas dans l’opinion.
Beaucoup à se croire plus avancé, car alors l’opinion a un effet.
Un critérium du réel, c’est que c’est dur et rugueux. On y
trouve des joies, non de l’agrément. Ce qui est agréable est rêverie.
Essayer d’aimer sans imaginer. Aimer l’apparence nue et sans
interprétation. Ce qu’on aime alors est vraiment Dieu.
Après avoir passé par le bien absolu, on retrouve les biens
illusoires et partiels, mais dans un ordre hiérarchique qui fait qu’on ne se
permet la recherche de tel bien que dans la limite permise par le souci de tel
autre. Cet ordre est transcendant par rapport aux biens qu’il relie et c’est un
reflet du bien absolu.
Déjà la raison discursive (l’intelligence des rapports) aide
à dissoudre les idolâtries en considérant les biens et les maux comme limités, mélangés
et versant les uns dans les autres.
Reconnaître le point où bien passe dans le mal : en
tant que, dans la mesure où, à l’égard de, etc…
Aller plus loin que la règle de trois.
Il s’agit, toujours, d’un rapport avec le temps. Perdre l’illusion
de la possession du temps. S’incarner.
L’homme doit faire l’acte de s’incarner, car il est
désincarné par l’imagination. Ce qui procède en nous de Satan, c’est l’imagination.
Remède contre l’amour imaginaire. Accorder à Dieu en soi le
strict minimum, ce qu’on ne peut absolument pas lui refuser – et désirer qu’un
jour et le plus tôt possible ce strict minimum devienne tout.
Transposition : croire qu’on s’élève parce qu’en
gardant les mêmes bas penchants (exemple : désir de l’emporter sur autrui)
on leur a donné des objets élevés.
On s’élèverait au contraire en attachant à des objets bas
des penchants élevés.
Il y a des prodiges dans toutes les passions. Un joueur est
capable de veiller et de jeûner presque comme un saint, il a des prémonitions, etc.
C’est un grand danger que celui d’aimer Dieu comme un joueur
aime le jeu.
Veiller au niveau où l’on met l’infini.
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