C’est la répugnance de la chair devant le bien. Car pour une cause mauvaise, si le stimulant est assez fort, la chair acceptera n’importe quoi, sachant qu’elle le peut sans mourir. La mort même, subie pour une cause mauvaise, n’est pas vraiment la mort pour la partie charnelle de l’âme. Ce qui est mortel pour la partie charnelle de l’âme, c’est de voir Dieu face à face.

C’est pourquoi nom fuyons le vide intérieur parce que Dieu pourrait s’y glisser.

Ce n’est pas la recherche du plaisir et l’aversion de l’effort qui produisent le péché, mais la peur de Dieu. On sait qu’on ne peut pas le voir face à face sans mourir, et on ne veut pas mourir. On sait que le péché nous préserve très efficacement de le voir face à face : le plaisir et la douleur nous procurent seulement la légère impulsion indispensable vers le péché, et surtout le prétexte, l’alibi encore plus indispensables. Comme il faut des prétextes pour les guerres injustes, il faut des faux biens pour le péché, car on ne peut soutenir la pensée qu’on va vers le mal. La chair n’est pas ce qui nous éloigne de Dieu, elle est le voile que nous mettons devant nous pour faire écran entre Dieu et nous.

Il n’en est peut-être ainsi qu’à partir d’un certain point. L’image de la caverne semble l’indiquer. C’est d’abord le mouvement oui fait mal. Quand on arrive à l’orifice, c’est la lumière. Non seulement elle aveugle, mais elle blesse. Les yeux se révoltent contre eue.

Ne peut-il être vrai qu’à partir de ce moment on ne peut plus commettre que des péchés mortels ? Prendre la chair pour se cacher de la lumière, n’est-ce pas un péché mortel ? Horrible pensée.

Plutôt la lèpre.

J’ai besoin que Dieu me prenne de force, car, si maintenant la mort, supprimant l’écran de la chair, me mettait devant lui face à face, je m’enfuirais.

L’idolâtrie vient de ce qu’ayant soif de bien absolu, on ne possède pas l’attention surnaturelle et on n’a pas la patience de la laisser passer.

Faute d’idoles, il faut souvent, tous les jours ou presque, peiner à vide. On ne peut le faire sans pain surnaturel.

L’idolâtrie est donc une nécessité vitale dans la caverne. Même chez les meilleurs, il est inévitable qu’elle limite étroitement l’intelligence et la bonté.

Les pensées sont changeantes, obéissantes aux passions, aux fantaisies, à la fatigue. L’activité doit être continue, tous les jours, beaucoup d’heures par jour. Il faut donc des mobiles de l’activité qui échappent aux pensées, donc aux relations : des idoles.

Tous les hommes sont prêts à mourir pour ce qu’ils aiment. Ils ne diffèrent que par le niveau de a chose aimée et la concentration ou la dispersion de l’amour. Aucun ne s’aime lui-même.

L’homme voudrait être égoïste et ne peut pas. C’est le caractère le plus frappant de sa misère et la source de sa grandeur.

L’homme se dévoue toujours à un ordre. Seulement, sauf illumination surnaturelle, cet ordre a pour centre ou lui-même ou un être particulier (qui peut être une abstraction) dans lequel il s’est transféré (Napoléon pour ses soldats. La Science, le Parti, etc.). Ordre perspectif.

Nous n’avons pas à acquérir l’humilité. L’humilité est en nous. Seulement nous nous humilions devant de faux dieux.

AMOUR

L’amour est un signe de notre misère. Dieu ne peut aimer que soi. Nous ne pouvons aimer qu’autre chose.

Ce n’est pas parce que Dieu nous aime que nous devons l’aimer. C’est parce que Dieu nous aime que nous devons nous aimer. Comment s’aimer soi-même sans ce motif ?

L’amour de soi est impossible à l’homme, sinon par ce détour.

Si on me bande les yeux et si on m’enchaîne les mains sur un bâton, ce bâton me sépare des choses, mais par lui je les explore. Je ne sens que le bâton, je ne perçois que le mur. De même les créatures pour la faculté d’aimer. L’amour surnaturel ne touche que les créatures et ne va qu’à Dieu.