Et c’est aussi bête que
de rêver à la musique ou à la peinture. L’amitié ne se laisse pas détacher de
la réalité, pas plus que le beau. Elle constitue un miracle, comme le beau. Et
le miracle consiste simplement dans le fait qu’elle existe. À vingt-cinq ans, il
est largement temps d’en finir radicalement avec l’adolescence…
Ne te laisse mettre en prison par aucune affection. Préserve
ta solitude. Le jour, s’il vient jamais, où une véritable affection te serait
donnée, il n’y aurait pas d’opposition entre la solitude intérieure et l’amitié,
au contraire. C’est même à ce signe infaillible que tu la reconnaîtras. Les
autres affections doivent être disciplinées sévèrement.
Les mêmes mots (ex. un homme dit à sa femme : je vous
aime) peuvent être vulgaires ou extraordinaires selon la manière dont ils sont
prononcés. Et cette manière dépend de la profondeur de la région de l’être d’où
ils procèdent, sans que la volonté y puisse rien. Et, par un accord merveilleux,
ils vont toucher, chez celui qui écoute, la même région. Ainsi celui qui écoute
peut discerner, s’il a au discernement, ce que valent ces paroles.
Le bienfait est permis précisément parce qu’il constitue une
humiliation plus grande encore que la douleur, une épreuve encore plus intime
et plus irrécusable de dépendance. Et la reconnaissance est prescrite pour
cette raison parce que c’est là l’usage à faire du bienfait reçu. Mais ce doit
être la dépendance à l’égard du sort et non d’être humain déterminé. C’est
pourquoi le bienfaiteur a l’obligation d’être entièrement absent du bienfait. Et
la reconnaissance ne doit à aucun degré constituer un attachement car c’est là
la reconnaissance des chiens.
La reconnaissance est d’abord le fait de celui qui secourt, si
le secours est pur. Elle n’est due par l’obligé qu’à titre de réciprocité.
Pour éprouver une gratitude pure (le cas de l’amitié étant
mis à part), j’ai besoin de penser qu’on me traite bien, non par pitié, ou par
sympathie, ou par caprice, à titre de faveur ou de privilège, ni non plus par
un effet naturel du tempérament, mais par désir de faire ce que la justice
exige. Donc celui qui me traite ainsi souhaite que tous ceux qui sont dans ma
situation soient traités ainsi par tous ceux qui sont dans la sienne.
LE MAL
La création : le bien mis en morceaux et éparpillé à
travers le mal.
Le mal est l’illimité, mais il n’est pas infini.
Seul l’infini limite l’illimité.
Monotonie du mal : rien de nouveau, tout y est
équivalent. Rien de réel, tout y est imaginaire.
C’est à cause de cette monotonie que la quantité joue un si
grand rôle. Beaucoup de femmes (Célimène), ou d’hommes (don Juan), etc. Condamné
à la fausse infinité. C’est là l’enfer même.
Le mal, c’est la licence, et c’est pourquoi il est monotone :
il y faut tout tirer de soi. Or il n’est pas donné à l’homme de créer. C’est
une mauvaise tentative pour imiter Dieu.
Ne pas connaître et accepter cette impossibilité de créer
est la source de beaucoup d’erreurs. Il nous faut imiter l’acte de créer, et il
y a deux imitations possibles – l’une réelle, l’autre apparente. – conserver et
détruire.
Pas de trace de « je » dans la conversation. Il y
en a dans la destruction. « Je » laisse sa marque sur le monde en
détruisant.
Littérature et morale. Le mal imaginaire est romantique, varié,
le mal réel morne, monotone, désertique, ennuyeux.
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