Le bien imaginaire est ennuyeux ; le bien réel est toujours nouveau, merveilleux, enivrant. Donc la « littérature d’imagination » est ou ennuyeuse ou immorale (ou un mélange des deux). Elle n’échappe à cette alternative qu’en passant en quelque sorte, à force d’art, du côté de la réalité – ce que le génie seul peut faire.

Une certaine vertu Inférieure est une image dégradée du bien, dont il faut se repentir, et donc il est plus difficile de se repentir que du mal. Pharisien et publicain.

Le bien comme contraire du mal lui est équivalent en un sens comme tous les contraires.

Ce que le mal viole, ce n’est pas le bien, car le bien est inviolable ; on ne viole qu’un bien dégradé.

Ce qui est directement contraire à un mal n’est jamais de l’ordre du bien supérieur. À peine au-dessus du mal, souvent ! Exemples : vol et respect bourgeois de la propriété, adultère et « honnête femme » ; caisse d’épargne et gaspillage ; mensonge et « sincérité ».

Le bien est essentiellement autre que le mal.

Le mal est multiplié et fragmentaire, le bien est un, le mal est apparent, le bien est mystérieux ; le mal consiste en actions, le bien en non action, en action non agissante, etc. – Le bien pris au niveau du mal et s’y opposant comme un contraire à un contraire est un bien de code pénal. Au-dessus se trouve un bien qui, en un sens, ressemble plus au mal qu’à cette forme basse du bien. Cela rend possible beaucoup de démagogie et de paradoxes fastidieux.

Le bien qui se définit à la façon dont on définit le mal doit être nié. Or le mal le nie. Mais il le nie mal.

Y a-t-il union de vices incompatibles chez les êtres voués au mal ? Je ne crois pas. Les vices sont soumis à la pesanteur, et c’est pourquoi il n’y a pas de profondeur, de transcendance dans le mal.

On n’a l’expérience du bien qu’en l’accomplissant.

On n’a l’expérience du mal qu’en l’interdisant de l’accomplir, ou, si on l’a accompli, qu’en s’en repentant.

Quand on accomplit le mal, on ne le connaît pas, parce que le mal fuit la lumière.

Est-ce que le mal, tel qu’on le conçoit lorsqu’on ne le fait pas, existe ? Le mal qu’on fait ne semble-t-il pas quelque chose de simple, de naturel qui s’impose ? Le mal n’est-il pas analogue à l’illusion ? L’illusion, quand on en est victime, n’est pas sentie comme une illusion, mais comme une réalité. De même, peut-être le mal. Le mal, quand on y est, n’est pas senti comme mal, mais comme nécessité ou même comme devoir.

Dès qu’on fait le mal, le mal apparaît comme une sorte de devoir. La plupart ont le sentiment du devoir dans certaines choses mauvaises et d’autres bonnes. Un même homme éprouve comme un devoir de vendre aussi cher qu’il peut et de ne pas voler, etc. Le bien chez eux est au niveau du mal, un bien sans lumière.

La sensibilité de l’innocent qui souffre est comme du crime sensible. Le vrai crime n’est pas sensible. L’innocent qui souffre sait la vérité sur son bourreau, le bourreau ne la sait pas. Le mal que l’innocent sent en lui-même est dans son bourreau, mais il n’y est pas sensible. L’innocent ne peut connaître le mal que comme souffrance. Ce qui dans le criminel n’est pas sensible, c’est le crime. Ce qui dans l’innocent n’est pas sensible, c’est l’innocence.

C’est l’innocent qui peut sentir l’enfer.

Le péché que nous avons en nous sort de nous et se propage au dehors, en exerçant une contagion sous forme de péché. Ainsi, quand nous sommes irrités, notre entourage s’irrite. Ou encore, de supérieur à inférieur : la colère suscite la peur. Mais au contact d’un être parfaitement pur, il y a transmutation, et le péché devient souffrance. Telle est la fonction du juste d’Isaïe, de l’agneau de Dieu. Telle est la souffrance rédemptrice. Toute la violence criminelle de l’Empire romain s’est heurtée au Christ, et, en lui, est devenue pure souffrance. Les êtres mauvais au contraire transforment la simple souffrance (par exemple la maladie) en pèche.

Il s’ensuit peut-être que la douleur rédemptrice doit être d’origine sociale. Elle doit être injustice, violence exercée par des êtres humains.

Le faux Dieu change la souffrance en violence.