Le vrai Dieu change la violence en souffrance.

La souffrance expiatrice est le choc en retour du mal qu’on fait. Et la souffrance rédemptrice est l’ombre du bien pur qu’on désire.

L’acte méchant est un transfert sur autrui de la dégradation qu’on porte en soi. C’est pourquoi on y incline comme vers une délivrance.

Tout crime est un transfert du mal de celui qui agit sur celui qui subit. L’amour illégitime comme le meurtre.

L’appareil de la justice pénale a été tellement contaminé de mal depuis des siècles qu’il est au contact des malfaiteurs, sans purification compensatrice, qu’une condamnation est très souvent un transfert de mal de l’appareil pénal sur le condamné, et cela même s’il est coupable et si la peine n’est pas disproportionnée. Les criminels endurcis sont les seuls auxquels l’appareil pénal ne peut pas faire de mal. Aux innocents, il fait un mal affreux.

Quand il y a transfert de mal, le mal n’est pas diminué, mais augmenté chez celui d’où il procède. Phénomène de multiplication. Il en est de même pour le transfert du mal qui s’opère sur des objets.

Alors où mettre le mal ?

Il faut le transférer de la partie impure dans la partie pure de soi-même, le transmuant ainsi en souffrance pure. Le crime qu’on a en soi, il faut l’infliger à soi.

Mais on aurait vite fait ainsi de souiller le point de pureté intérieure si on ne le renouvelait pas par le contact avec une pureté inaltérable placée en dehors de toute atteinte.

La patience consiste à ne pas transformer la souffrance en crime. Cela suffit déjà à transformer du crime en souffrance.

Transférer le mal sur des choses extérieures, c’est déformer les rapports des choses. Ce qui est exact et déterminé, nombre, proportion, harmonie, résiste à cette déformation. Quel que soit mon état de vigueur ou de lassitude, dans cinq kilomètres, il y a cinq bornes kilométriques. C’est pourquoi le nombre fait mal quand on souffre : il s’oppose à l’opération de transfert. Fixer l’attention sur ce qui est trop rigoureux pour être déformé par mes modifications intérieures, c’est préparer en moi l’apparition d’un invariant et l’accès à l’éternel.

Accepter le mal qu’on nous fait comme remède à celui que nous avons fait.

Ce n’est pas la souffrance qu’on s’impose à soi-même, mais celle qu’on subit du dehors qui est le vrai remède. Et même qu’elle soit injuste. Quand on a péché par injustice, il ne suffit pas de souffrir justement, il faut souffrir l’injustice.

La pureté est absolument invulnérable en tant que pureté, en ce sens que nulle violence ne la rend moins pure. Mais elle est éminemment vulnérable en ce sens que toute atteinte du mal la fait souffrir, que tout péché qui la louche devient en elle souffrance.

Si l’on me fait du mal, désirer que ce mal ne me dégrade pas, par amour pour celui qui me l’inflige afin qu’il n’ait pas vraiment fait du mal.

Les saints (les presque saints) sont plus exposés que les autres au diable, parce que la connaissance réelle qu’ils ont de leur misère leur rend la lumière presque intolérable.

Le péché contre l’Esprit consiste à connaître une chose comme bonne et la haïr en tant que bonne. On en éprouve l’équivalent sous forme de résistance toutes les fois qu’on s’oriente vers le bien. Car tout contact avec le bien produit une connaissance de la distance entre le mal et le bien et un commencement d’effort pénible d’assimilation. C’est une douleur, et on a peur. Cette peur est peut-être le signe de la réalité du contact. Le péché correspondant ne peut se produire que si le manque d’espérance rend la conscience de la distance intolérable et change la douleur en haine. L’espérance est un remède à cet égard. Mais un remède meilleur est l’indifférence à soi, et d’être heureux que le bien soit le bien, quoiqu’on en soit loin, et même dans la supposition où on serait destiné à s’en éloigner infiniment.

Une fois un atome de bien pur entré dans l’âme, la plus grande, la plus criminelle faiblesse est infiniment moins dangereuse que la plus minime trahison, celle-ci se réduirait-elle à un mouvement purement intérieur de la pensée, ne durant qu’un instant, mais consenti. C’est la participation à l’enfer. Tant que l’âme n’a pas goûté au bien pur, elle est séparée de l’enfer comme du paradis.

Un choix infernal n’est possible que par l’attachement au salut. Qui ne désire pas la joie de Dieu, mais est satisfait de savoir qu’il y a réellement joie en Dieu, tombe mais ne trahit pas.

Quand on aime Dieu à travers le mal comme tel, c’est vraiment Dieu qu’on aime.

Aimer Dieu à travers le mal comme tel. Aimer Dieu à travers le mal que l’on hait, en haïssant ce mal. Aimer Dieu comme auteur du mal qu’on est en train de haïr.

Le mal est à l’amour ce qu’est le mystère à l’intelligence. Comme le mystère contraint la vertu de foi à être surnaturelle, de même le mal pour la vertu de charité. Et essayer de trouver des compensations, des justifications au mal est aussi nuisible pour la charité que d’essayer d’exposer le contenu des mystères sur le plan de l’intelligence humaine.

Discourt d’Ivan dans les Karamazov : « Quand même cette immense fabrique apporterait les plus extraordinaires merveilles et ne coûterait qu’une seule larme d’un seul enfant, moi je refuse. »

J’adhère complètement à ce sentiment.