Aucun motif, quel qu’il soit, qu’on puisse me donner pour compenser une larme d’un enfant ne peut me taire accepter cette larme. Aucun absolument que l’intelligence puisse concevoir. Un seul, mais qui n’est intelligible qu’à l’amour surnaturel : Dieu l’a voulu. Et pour ce motif-là, j’accepterais aussi bien un monde qui ne serait que mal qu’une larme d’enfant.

L’agonie est la suprême nuit obscure dont même les parfaits ont besoin pour la pureté absolue, et pour cela il vaut mieux qu’elle soit amère.

L’irréalité qui du bien enlève le bien, c’est cela qui constitue le mal. Le mal, c’est toujours la destruction de choses sensibles où il y a présence réelle du bien. Le mal est accompli par ceux qui n’ont pas connaissance de cette présence réelle. En ce sens il est vrai que nul n’est méchant volontairement. Les rapports de force donnent à l’absence le pouvoir de détruire la présence.

On ne peut contempler sans terreur l’étendue du mal que l’homme peut faire et subir.

Comment pourrait-on croire qu’il soit possible de trouver une compensation à ce mal puisque, à cause de ce mal. Dieu a souffert la crucifixion ?

Bien et mal. Réalité. Est bien ce qui donne plus de réalité aux êtres et aux choses, mal ce qui leur en enlève.

Les Romains ont fait le mal en dépouillant les villes grecques de leurs statues, parce que les villes, les temples, la vie de ces Grecs avaient moins de réalité sans les statues, et parce que les statues ne pouvaient avoir autant de réalité à Rome qu’en Grèce.

Supplications désespérées, humbles des Grecs pour conserver quelques statues : tentative désespérée pour faire passer dans l’esprit d’autrui sa propre notion des valeurs. Comprise ainsi, n’a rien de bas. Mais presque nécessairement inefficace. Devoir de comprendre et de peser le système de valeurs d’autrui, avec le sien, sur la même balance. Forger la balance.

Laisser l’imagination s’attarder sur ce qui est mal implique une espèce de lâcheté ; on espère jouir, connaître et s’accroître par l’irréel.

Même attarder son imagination sur certaines choses comme possibles (ce qui est tout autre chose qu’en concevoir clairement la possibilité, chose essentielle à la vertu) c’est déjà s’engager. La curiosité en est la cause. S’interdire (non pas de concevoir, mais de s’attarder sur) certaines pensées ; ne pas penser à. On croit que la pensée n’engage pas, mais elle engage seule, et la licence de penser enferme toute licence. Ne pas penser à, faculté suprême. Pureté, vertu négative. Ayant attardé son imagination sur une chose mauvaise, si on rencontre a autres hommes qui la rendent objective par leurs paroles et leurs actions et suppriment ainsi la barrière sociale, on est déjà presque perdu. Et quoi de plus facile ? Pas de point de rupture ; quand on voit le fossé, on l’a déjà franchi. Pour le bien, c’est tout le contraire ; le fossé est vu quand il est à franchir, au moment de l’arrachement et du déchirement. On ne tombe pas dans le bien. Le mot bassesse exprime cette propriété du mal.

Même accompli, le mal garde ce caractère d’irréalité ; de là vient peut-être la simplicité des criminels ; tout est simple dans le rêve. Simplicité qui fait pendant à celle de la suprême vertu.

Il faut que le mal soit rendu pur – ou la vie est impossible. Dieu seul peut cela. C’est l’idée de la Gîta. C’est aussi l’idée de Moïse, de Mahomet, de l’hitlérisme…

Mais Jéhovah, Allah, Hitler sont des dieux terrestres. La purification qu’ils opèrent est imaginaire.

Ce qui est essentiellement autre que le mal, c’est la vertu accompagnée d’une perception claire de la possibilité au mal, et du mal apparaissant comme un bien. La présence d’illusions abandon nées mais présentes à la pensée, est peut-être le critérium de la vérité.

On ne peut avoir horreur de faire du mal à autrui que si on est au point où autrui ne peut plus nous faire du mal (on aime alors les autres, à la limite, comme soi-même passé).

La contemplation de la misère humaine arrache vers Dieu, et c’est seulement en autrui aimé comme soi-même qu’on la contemple.