Elle est là sur le parvis en attente de Dieu, sans bouger, immobile, avec patience, portant pour toujours avec elle dans son cœur la passion du Christ et toutes les choses bonnes que Dieu aime, mais que l’Église n’a pas encore reconnues : « Toute l’immense étendue des siècles passés, excepté les vingt derniers, tous les pays habités par les races de couleur, toute la vie profane dans les pays de race blanche, » Elle le dit, elle l’écrit, elle atteste par sa conversion inachevée l’importance de celle indispensable position qu’il faut bien que quelqu’un tienne. C’est là son premier témoignage.

Il ne reste plus ensuite à Simone Weil qu’à franchir le dernier pas : celui qui la fera passer par la mort de Vautre côté du miroir. Elle part en 1942 de Marseille. Elle passe à New York et va en Angleterre rejoindre les services de La France Libre. Elle vit en pensée avec les Français de la zone occupée. Elle refuse de manger plus qu’eux. Elle participe à toutes les misères du monde en guerre. Elle tombe malade. Elle qui a toujours dû lutter depuis son adolescence contre des migraines constantes et intolérables elle se soigne peu ou mal. Son esprit est avec dieu et avec les malheureux. Elle se laisse mourir et rejoint le Christ le 24 août 1943.

Sa vie d’écrivain commence là. 14 livres ont été tirés déjà de ses articles, de ses travaux, de son journal, des manuscrits qu’elle a laissés. Ils sont traduits dans beaucoup de langues. Si sa théologie a été discutée, car elle est, en effet, discutable, son rayonnement et son influence n’ont cessé de grandir. Cette Église catholique à laquelle elle ne pouvait pas appartenir physiquement, par fidélité à ceux du dehors, a commencé d’intégrer ce qu’elle demandait qu’on acceptât de reconnaître pour bon… et les différentes confessions chrétiennes se rapprochent. Allez donc à la rencontre de ce livre extraordinaire écrit par une jeune fille brûlante de charité. Simone Weil fut après la guerre à la fois prophète et témoin de l’absolu.

Georges HOURDIN.

LA PESANTEUR ET LA GRACE

Tous les mouvements naturels de l’âme sont régis par des lois analogues à celles de la pesanteur matérielle. La grâce seule fait exception.

Il faut toujours s’attendre à ce que les choses se passent conformément à la pesanteur, sauf intervention du surnaturel.

Deux forces règnent sur l’univers : lumière et pesanteur.

Pesanteur. – D’une manière générale, ce qu’on attend des autres est déterminé par les effets de la pesanteur en nous ; ce qu’on en reçoit est déterminé par les effets de la pesanteur en eux. Parfois cela coïncide (par hasard), souvent non.

Pourquoi est-ce que dès qu’un être humain témoigne qu’il a peu ou beaucoup besoin d’un autre, celui-ci s’éloigne ? Pesanteur.

Lear, tragédie de la pesanteur. Tout ce qu’on nomme bassesse est un phénomène de pesanteur. D’ailleurs le terme de bassesse l’indique.

L’objet d’une action et le niveau de l’énergie oui l’alimente, choses distinctes.

Il faut faire telle chose. Mais où puiser l’énergie ? Une action vertueuse peut abaisser s’il n’y a pas d’énergie disponible au même niveau.

Le bas et le superficiel sont au même niveau. Il aime violemment mais bassement : phrase possible. Il aime profondément mais bassement ; phrase impossible.

S’il est vrai que la même souffrance est bien plus difficile à supporter par un motif élevé que par un motif bas (les gens qui restaient debout, immobiles, de une à huit heures du matin pour avoir un œuf, l’auraient très difficilement fait pour sauver une vie humaine), une vertu basse est peut-être à certains égards mieux à l’épreuve des difficultés, des tentations et des malheurs qu’une vertu élevée. Soldats de Napoléon. De là l’usage de la cruauté pour maintenir ou relever le moral des soldats. Ne pas l’oublier par rapport à la défaillance.

C’est un cas particulier de la loi qui met généralement la force du côté de la bassesse. La pesanteur en est comme un symbole.

Queues alimentaires. Une même action est plus facile si le mobile est bas que s’il est élevé.