Les mobiles bas enferment plus d’énergie que
les mobiles élevés. Problème : comment transférer aux mobiles élevés l’énergie
dévolue aux mobiles bas ?
Ne pas oublier qu’à certains moments de mes maux de tête, quand
la crise montait, j’avais un désir intense de faire souffrir un autre être
humain en le frappant précisément au même endroit du front.
Désirs analogues, très fréquents parmi les hommes.
Plusieurs fois, dans cet état, j’ai cédé du moins à la
tentation de dire des mots blessants. Obéissance à la pesanteur. Le plus grand
péché. On corrompt ainsi la fonction du langage, qui est d’exprimer les
rapports des choses.
Attitude de supplication : nécessairement je dois me
tourner vers autre chose que moi-même, puisqu’il s’agit d’être délivré de
soi-même.
Tenter cette délivrance au moyen de ma propre énergie, ce
serait comme une vache qui tire sur l’entrave et tombe ainsi à genoux.
Alors on libère en soi de l’énergie par une violence qui en
dégrade davantage. Compensation au sens de la thermodynamique, cercle infernal
dont on ne peut être délivré que d’en haut.
L’homme a la source de l’énergie morale à l’extérieur, comme
de l’énergie physique (nourriture, respiration). Il la trouve généralement, et
c’est pourquoi il a l’illusion – comme au physique – que son être porte en soi
le principe de sa conversation. La privation seule fait sentir le besoin. Et, en
cas de privation, il ne peut pas s’empêcher de se tourner vers n’importe quoi
de comestible.
Un seul remède à cela : une chlorophylle permettant de
se nourrir de lumière.
Ne pas juger. Toutes les fautes sont égales. Il n’y a qu’une
faute : ne pas avoir la capacité de se nourrir de lumière. Car cette
capacité étant abolie, toutes les fautes sont possibles.
« Ma nourriture est de faire la volonté de Celui qui m’envoie. »
Nul autre bien que cette capacité.
Descendre d’un mouvement où la pesanteur n’a aucune part… La
pesanteur fait descendre, l’aile fait monter : quelle aile à la deuxième
puissance peut faire descendre sans pesanteur ?
La création est faite du mouvement descendant de la
pesanteur, du mouvement ascendant de la grâce et du mouvement descendant de la
grâce à la deuxième puissance.
La grâce, c’est la loi du mouvement descendant.
S’abaisser, c’est monter à l’égard de la pesanteur morale. La
pesanteur morale nous fait tomber vers le haut.
Un malheur trop grand met un être humain au-dessous de la
pitié : dégoût, horreur et mépris.
La pitié descend jusqu’à un certain niveau, et non
au-dessous. Comment la charité fait-elle pour descendre au-dessous ?
Ceux qui sont tombés si bas ont-ils pitié d’eux-mêmes ?
Mécanique humaine. Quiconque souffre cherche à communiquer
sa souffrance – soit en maltraitant, soit en provoquant la pitié – afin de la
diminuer, et il la diminue vraiment ainsi. Celui qui est tout en bas, que
personne ne plaint, qui n’a le pouvoir de maltraiter personne (s’il n’a pas d’enfant
ou d’être qui l’aime), sa souffrance reste en lui et l’empoisonne.
Cela est impérieux comme la pesanteur. Comment s’en délivre-t-on ?
Comment se délivre-t-on de ce qui est comme la pesanteur ?
Tendance à répandre le mal hors de soi : je l’ai encore !
Les êtres et les choses ne me sont pas assez sacrés. Puissé-je ne rien souiller,
quand je serais entièrement transformée en boue. Ne rien souiller même dans ma
pensée. Même dans les pires moments je ne détruirais pas une statue grecque ou
une fresque de Giott. Pourquoi donc autre chose ? Pourquoi par exemple un
instant de la vie d’un être humain qui pourrait être un instant heureux ?
Impossible de pardonner à qui nous a fait du mal, si ce mal
nous abaisse. Il faut penser qu’il ne nous a pas abaissés, mais a révélé notre
vrai niveau.
Désir de voir autrui souffrir ce qu’on souffre, exactement. C’est
pourquoi, sauf dans les périodes d’instabilité sociale, les rancunes des
misérables se portent sur leurs pareils.
C’est là un facteur de stabilité sociale.
Tendance à répandre la souffrance hors de soi. Si, par excès
de faiblesse, on ne peut ni provoquer la pitié ni faire du mal à autrui, on
fait du mal à la représentation de l’univers en soi.
Toute chose belle et bonne est alors comme une injure.
Faire du mal à autrui, c’est en recevoir quelque chose. Quoi ?
Qu’a-t-on gagné (et qu’il faudra repayer) quand on a fait du mal ? On s’est
accru. On est étendu. On a comblé un vide en soi en le créant chez autrui.
Pouvoir faire impunément du mal à autrui – par exemple
passer sa colère sur un inférieur et qu’il soit forcé de se taire – c’est s’épargner
une dépense d’énergie, dépense que l’autre doit assumer. De même pour la
satisfaction illégitime d’un désir quelconque. L’énergie qu’on économise ainsi
est aussitôt dégradée.
Pardonner. On ne peut pas.
1 comment