Quand quelqu’un nous a fait du
mal, il se crée en nous des réactions. Le désir de la vengeance est un désir d’équilibre
essentiel. Chercher l’équilibre sur un autre plan. Il faut aller par soi-même
jusqu’à cette limite. Là on touche le vide. (Aide-toi, le ciel t’aidera…)
Maux de tête. À tel moment : moindre douleur en la
projetant dans l’univers, mais univers altéré ; douleur plus vive, une
fois ramenée à son lieu, mais quelque chose en moi ne souffre pas et reste en
contact avec un univers non altéré. Agir de même avec les passions. Les faire
descendre, les ramener à un point, et s’en désintéresser. Traiter ainsi
notamment toutes les douleurs. Les empêcher d’approcher les choses.
La recherche de l’équilibre est mauvaise parce qu’elle est
imaginaire. La vengeance. Même si en fait on tue ou torture son ennemi c’est, en
un sens, imaginaire.
L’homme qui vivait pour sa cité, sa famille, ses amis, pour
s’enrichir, pour accroître sa situation sociale, etc. – une guerre, et on l’emmène
comme esclave, et dès lors, pour toujours, il doit s’épuiser jusqu’à l’extrême
limite de ses forces, simplement pour exister.
Cela est affreux, impossible, et c’est pourquoi il ne se
présente pas devant lui de fin si misérable qu’il ne s’y accroche, ne serait-ce
que de faire punir l’esclave qui travaille à ses côtes. Il n’a plus le choix
des fins. N’importe laquelle est comme une branche pour qui se noie.
Ceux dont on avait détruit la cité et qu’on emmenait en
esclavage n’avaient plus ni passé ni avenir : de quel objet pouvaient-ils
emplir leur pensée ? De mensonges et des plus infimes, des plus pitoyables
convoitises, prêts peut-être davantage à risquer la crucifixion pour voler un
poulet qu’auparavant la mort dans le combat pour défendre leur ville. Sûrement
même, ou bien ces supplices affreux n’auraient pas été nécessaires.
Ou bien il fallait pouvoir supporter le vide dans la pensée.
Pour avoir la force de contempler le malheur quand on est
malheureux, il faut le pain surnaturel.
Le mécanisme par lequel une situation trop dure abaisse est
que l’énergie fournie par les sentiments élevés est – généralement – limitée ;
si la situation exige qu’on aille plus loin que cette limite, il faut avoir
recours à des sentiments bas (peur, convoitise, goût du record, des honneurs
extérieurs) plus riches en énergie.
Cette limitation est la clef de beaucoup de retournements.
Tragédie de ceux qui, s’étant portés par amour du bien, dans
une voie où il y a à souffrir, arrivent au bout d’un temps donné à leur limite
et s’avilissent.
Pierre sur le chemin. Se jeter sur la pierre, comme si, à
partir d’une certaine intensité de désir, elle devait ne plus exister. Ou s’en
aller comme si soi-même on n’existait pas.
Le désir enferme de l’absolu et s’il échoue (une fois l’énergie
épuisée), l’absolu se transfère sur l’obstacle. État d’âme des vaincus, des
opprimés.
Saisir (en chaque chose) qu’il y a une limite et qu’on ne la
dépassera pas sans aide surnaturelle (ou alors de très peu) et en le payant
ensuite par un terrible abaissement.
L’énergie libérée par la disparition d’objets qui
constituaient des mobiles tend toujours à aller plus bas.
Les sentiments bas (envie, ressentiment) sont de l’énergie
dégradée.
Toute forme de récompense constitue une dégradation d’énergie.
Le contentement de soi après une bonne action (ou une œuvre
d’art) est une dégradation d’énergie supérieure. C’est pourquoi la main droite
doit ignorer…
Une récompense purement imaginaire (un sourire de Louis XIV)
est l’équivalent exact de ce qu’on a dépensé, car elle a exactement la valeur
de ce qu’on a dépensé – contrairement aux récompenses réelles qui, comme telles,
sont au-dessus ou au-dessous. Aussi les avantages imaginaires seuls fournissent
l’énergie pour des efforts illimités. Mais il faut que Louis XIV sourie
vraiment ; s’il ne sourit pas, privation indicible. Un roi ne peut payer
que des récompenses la plupart du temps imaginaires, ou bien il serait
insolvable.
Équivalent dans la religion à un certain niveau.
Faute de recevoir le sourire de Louis XIV, on le
fabrique un Dieu qui nous sourit.
Ou encore on se loue soi-même. Il faut une récompense
équivalente. Inévitable comme la pesanteur.
Un être aimé qui déçoit. Je lui ai écrit. Impossible qu’il
ne me réponde pas ce que je me suis dit à moi-même en son nom.
Les hommes nous doivent ce que nous imaginons qu’ils nous
donneront. Leur remettre cette dette.
Accepter qu’ils soient autres que les créatures de notre
imagination, c’est imiter le renoncement de Dieu.
Moi aussi. Je suis autre que ce que je m’imagine être.
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