Le savoir, c’est le pardon.

« Nous croyons par tradition au sujet des dieux, et nous voyons par expérience au sujet des hommes que toujours, par une nécessité de nature, tout être exerce tout le pouvoir dont il dispose » (Thucydide). Comme du gaz, l’âme tend à occuper la totalité de l’espace qui lui est accordé. Un gaz qui se rétracterait et laisserait du vide, ce serait contraire à la loi d’entropie. Il n’en est pas ainsi du Dieu des chrétiens. C’est un Dieu surnaturel au lieu que Jéhovah est un Dieu naturel.

Ne pas exercer tout le pouvoir dont on dispose, c’est supporter le vide. Cela est contraire à toutes les lois de la nature : la grâce seule le peut.

La grâce comble, mais elle ne peut entrer que là où il y a un vide pour la recevoir, et c’est elle qui fait ce vide.

Nécessité d’une récompense, de recevoir l’équivalent de ce qu’on donne. Mais si, faisant violence à cette nécessité, on laisse un vide, il se produit comme un appel d’air, et une récompense surnaturelle survient. Elle ne vient pas si on a un autre salaire : ce vide la fait venir.

De même pour la remise des dettes (ce qui ne concerne pas seulement le mal que les autres nous ont fait, mais le bien qu’on leur a fait). Là encore on accepte un vide en soi-même.

Accepter un vide en soi-même, cela est surnaturel. Où trouver l’énergie pour un acte sans contrepartie ? L’énergie doit venir d’ailleurs. Mais pourtant, il faut d’abord un arrachement, quelque chose de désespéré, que d’abord un vide se produise. Vide : nuit obscure.

L’admiration, la pitié (le mélange des deux surtout) apportent une énergie réelle. Mais il faut s’en passer.

Il faut être un temps sans récompense, naturelle ou surnaturelle.

Il faut une représentation du monde où il y ait du vide, afin que le monde ait besoin de Dieu. Cela suppose le mal.

Aimer la vérité signifie supporter le vide, et par suite accepter la mort. La vérité est du côté de la mort.

L’homme n’échappe aux lois de ce monde que la durée d’un éclair. Instants d’arrêt, de contemplation, d’intuition pure, de vide mental, d’acceptation du vide moral. C’est par ces instants qu’il est capable de surnaturel.

Qui supporte un moment le vide, ou reçoit le pain surnaturel, ou tombe. Risque terrible, mais il faut le courir, et même un moment sans espérance. Mais il ne faut pas s’y jeter.

DÉTACHEMENT

Pour atteindre le détachement total, le malheur ne suffit pas. Il faut un malheur sans consolation. Il ne faut pas avoir de consolation. Aucune consolation représentable. La consolation ineffable descend alors.

Remettre les dettes. Accepter le passé, sans demander de compensation à l’avenir. Arrêter le temps à l’instant. C’est aussi l’acceptation de la mort.

« Il s’est vidé de sa divinité. » Se vider du monde. Revêtir la nature d’un esclave. Se réduire au point qu’on occupe dans l’espace et dans le temps. À rien.

Se dépouiller de la royauté imaginaire du monde, solitude absolue. Alors on a la vérité du monde.

Deux manières de renoncer aux biens matériels :

S’en priver en vue d’un bien spirituel.

Les concevoir et les sentir comme conditions de biens spirituels (exemple : la faim, la fatigue, l’humiliation obscurcissent l’intelligence et gênent la méditation) et néanmoins y renoncer.

Cette deuxième espèce de renoncement est seule nudité d’esprit.

Bien plus, les biens matériels seraient à peine dangereux s’ils apparaissaient seuls et non liés à des biens spirituels.

Renoncer à tout ce qui n’est pas la grâce et ne pas désirer la grâce.

L’extinction du désir (bouddhisme) – ou le détachement – ou l’amour fati – ou le désir du bien absolu, c’est toujours la même chose : vider le désir, la finalité de tout contenu, désirer à vide, désirer sans souhait.

Détacher notre désir de tous les biens et attendre. L’expérience prouve que cette attente est comblée. On touche alors le bien absolu.

En tout, par-delà l’objet particulier quel qu’il soit, vouloir à vide, vouloir le vide. Car c’est un vide pour nous que ce bien que nous ne pouvons ni nous représenter ni définir.