Mais ce vide est plus plein que tous les pleins.

Si on arrive là, on est tiré d’affaire, car Dieu comble le vide. Il ne s’agit nullement d’un processus intellectuel, au sens où nous l’entendons aujourd’hui. L’intelligence n’a rien à trouver, elle a à déblayer. Elle n’est bonne qu’aux tâches serviles.

Le bien est pour nous un néant puisque aucune chose n’est bonne. Mais ce néant n’est pas irréel. Tout ce qui existe, comparé à lui, est irréel.

Écarter les croyances combleuses de vides, adoucisseuses des amertumes. Celle à l’immortalité. Celle à l’utilité des péchés : etiam peccata. Celle à l’ordre providentiel des événements – bref les « consolations » qu’on cherche ordinairement dans la religion.

Aimer Dieu à travers la destruction de Troie et de Carthage, et sans consolation. L’amour n’est pas consolation, il est lumière.

La réalité du monde est faite par nous de notre attachement. C’est la réalité du moi transportée par nous dans les choses. Ce n’est nullement la réalité extérieure. Celle-ci n’est perceptible que par le détachement total. Ne restât-il qu’un fil, il y a encore attachement.

Le malheur qui contraint à porter l’attachement sur des objets misérables met nu le caractère misérable de l’attachement. Par-là, la nécessité du détachement devient plus claire.

L’attachement est fabricateur d’illusions, et quiconque veut le réel doit être détaché.

Dès qu’on sait que quelque chose est réel, on ne peut plus y être attache.

L’attachement n’est pas autre chose que l’insuffisance dans le sentiment de la réalité. On est attaché à la possession d’une chose parce qu’on croit que si on cesse de la posséder, elle cesse d’être. Beaucoup de gens ne sentent pas avec toute leur âme qu’il y a une différence du tout au tout entre l’anéantissement d’une ville et leur exil irrémédiable hors de cette ville.

La misère humaine serait intolérable si elle n’était diluée dans le temps.

Empêcher qu’elle se dilue pour qu’elle soit intolérable.

« Et quand ils se furent rassasiés de larmes » (Iliade) – encore un moyen de rendre la pire souffrance tolérable.

Il ne faut pas pleurer pour ne pas être consolé[1].

Toute douleur qui ne détache pas est de la douleur perdue. Rien de plus affreux, froid désert, âme recroquevillée. Ovide. Esclaves de Plaute.

Ne jamais penser à une chose ou à un être qu’on aime et qu’on n’a pas sous les yeux sans songer que peut-être cette chose est détruite ou que cet être est mort. Que cette pensée ne dissolve pas le sentiment de la réalité, mais le rende plus intense.

Chaque fois qu’on dit ; « Que ta volonté soit faite », se représenter dans leur ensemble tous les malheurs possibles.

Deux manières de se tuer : suicide ou détachement.

Tuer par la pensée tout ce qu’on aime : seule manière de mourir. Mais seulement ce qu’on aime. (Celui qui ne hait pas son père, sa mère… Mais : aimez vos ennemis…)

Ne pas désirer que ce qu’on aime soit immortel. Devant un être humain, quel qu’il soit, ne le désirer ni immortel ni mort.

L’avare, par désir de son trésor, s’en prive. Si l’on peut mettre tout son bien dans une chose cachée dans la terre, pourquoi pas en Dieu ?

Mais quand Dieu est devenu aussi plein de signification que le trésor pour l’avare, se répéter fortement qu’il n’existe pas. Éprouver qu’on l’aime, même s’il n’existe pas.

C’est lui qui, par l’opération de la nuit obscure, se retire afin de ne pas être aimé comme un trésor par un avare.

Électre pleurant Oreste mort. Si on aime Dieu en pensant qu’il n’existe pas, il manifestera son existence.

L’imagination travaille continuellement à boucher toutes les fissures par où passerait la grâce.

Tout vide, (non accepté) produit de la haine, de l’aigreur, de l’amertume, de la rancune. Le mal qu’on souhaite à ce qu’on hait, et qu’on imagine, rétablit l’équilibre.

Les miliciens du « Testament espagnol » qui inventaient des victoires pour supporter de mourir, exemple de l’imagination combleuse de vide. Quoiqu’on ne doive rien gagner à la victoire, on supporte de mourir pour une cause qui sera victorieuse, non pour une cause qui sera vaincue. Pour quelque chose d’absolument dénué de force, ce serait surhumain (disciples du Christ). La pensée de la mort appelle un contrepoids, et ce contrepoids – la grâce mise à part – ne peut être qu’un mensonge.

L’imagination combleuse de vides est essentiellement menteuse. Elle exclut la troisième dimension, car ce sont seulement les objets réels qui sont dans les trois dimensions.