C’est au moment où il faudrait nommer la chose obscène (le « vice » de la supérieure) que le roman se suspend, refuse ce changement de régime.

59- Diderot, Correspondance, Minuit, 1970, t. XV, p. 191.

60- Autre motif libertin, que l’on trouve comme tel dans Le Neveu de Rameau.

61- « Sa bouche était entrouverte, elle poussa un profond soupir, elle défaillit, et je fis semblant de croire qu’elle était morte… » (Contes et romans, op. cit., p. 829. Nous soulignons.)

62- Quand Suzanne explique, par exemple, qu’elle n’attache pas d’« idée distincte » (p. 166) aux discours qu’on lui tient, elle retrouve la catégorie des « idées accessoires » analysée par les grammairiens de Port-Royal et dont le philosophe Pierre Bayle, mais aussi Diderot, qui a évidemment lu l’Éclaircissement sur les obscénités de ce dernier, se saisissent pour expliquer le fonctionnement de l’obscène : la « gaze » ne garantit rien, au contraire, même, car sa dynamique allusive sollicite le complément imaginaire du lecteur : ce sont les « idées accessoires ».

63- L’ajout de certains épisodes après coup a nécessité des « raccords » pour préserver la logique du roman-mémoires, qui veut que la narratrice en sache plus que l’héroïne : par exemple, si Suzanne se dit d’abord incertaine de son statut de fille naturelle, puis le révèle en toute certitude, c’est que cet aspect du « roman familial » a constitué une phase d’écriture tardive.

64- Nous en signalons l’essentiel dans les notes. Pour la plus éclatante, et sans doute la plus commentée, qui concerne la lettre posthume de la mère de Suzanne, voir p. 50, note 1. Pour un relevé détaillé, voir les présentations du texte par G. May et R. Mauzi dans leurs éditions respectives.

65- G. May, Diderot et La Religieuse, Yale University Press/Paris, PUF, 1954, p. 208.

66- J. Rustin, « La Religieuse de Diderot : mémoires ou journal intime ? », dans Le Journal intime et ses formes littéraires, dir. V. Del Litto, Droz, 1978, p. 37.

67- Cité par R. Kempf, Diderot et le roman ou le Démon de la présence, op. cit., p. 25. Diderot a lui aussi été très sensible au problème de la distance entre temps de l’émotion et temps de l’écriture. Voir, par exemple, la belle clausule de l’introduction aux Entretiens sur le Fils naturel, où se retrouve le motif de la vision de l’artiste : « C’est en vain que je cherche en moi l’impression que le spectacle de la nature et la présence de Dorval y faisaient. Je ne la retrouve point ; je ne vois plus Dorval ; je ne l’entends plus. Je suis seul, parmi la poussière des livres et dans l’ombre d’un cabinet… et j’écris des lignes faibles, tristes et froides » (Diderot, Œuvres esthétiques, op. cit., p. 79).

68- Les narrateurs prévostiens ont tendance à afficher leur désir de sincérité pour mieux opposer la transparence de leur récit à la fausseté supposée d’autrui : c’est le cas de Des Grieux dans l’Histoire de Manon Lescaut, de Cleveland dans Le Philosophe anglais ou de l’ambassadeur dans l’Histoire d’une Grecque moderne.

69- C’est ce qu’affirme Suzanne, p. 98.

70- Voir F. Magnot, La Parole de l’autre dans le roman-mémoires (1720-1770), Louvain, Peeters, 2004.

71- L’onomastique est ironique : elle désigne un type, un emploi de roman.

72- Nous soulignons : l’adjectif, comme le registre théologique, signale aussi une évaluation judiciaire. Dans Le Rêve de d’Alembert (1769), Julie de Lespinasse demande ainsi à Bordeu d’où viennent les « goûts abominables » des sodomites.

73- Suzanne dit d’emblée qu’il est très facile de distinguer les camps, les « ennemies » et les « amies » (p. 156)…

74- Sur cette artificialité du pathétique, voir A. Coudreuse, Le Goût des larmes, PUF, 1999, et surtout Le Refus du pathos au XVIIIe siècle, Champion, 2001.

75- Pour une analyse, en ce sens, de l’épisode, voir Ch. Martin, Espaces du féminin dans le roman français du XVIIIe siècle, Oxford, SVEC, 2004, p. 492-493. Sur le traitement libertin du milieu des couvents, voir le Dossier, infra, p. 242 sq.

76- Ce motif contribue à superposer l’espace du sérail à celui du couvent ; on le trouve notamment au début des Lettres persanes de Montesquieu.

77- Sur ces jeux de regard captateur, la critique a souvent fait le parallèle avec les commentaires, qu’on lira avec profit, de Diderot dans les Salons de 1765 et 1767 sur les tableaux représentant Suzanne et les vieillards  : ils donnent une résonance particulière au choix du prénom de l’héroïne…

78- Voir, sur ce point, les remarques éclairantes de T. Belleguic dans « Suzanne ou les avatars matérialistes de la sympathie : figures de la contagion dans La Religieuse de Denis Diderot », art. cité.

79- Suzanne exprime en effet la crainte d’avoir donné son mal à son amie.

80- Notons ici que le motif de l’atelier du peintre peut constituer un sujet topique de la peinture de « petit genre » galant : dans Les Débuts du modèle (1772) de Fragonard, le peintre examine nonchalamment la jeune fille que lui présente une « mère » possiblement maquerelle en soulevant son jupon à l’aide d’un bâton (!). La dramaturgie de la scène de La Religieuse entretient une trouble proximité à ce scénario : Suzanne (re)présente Thérèse à une supérieure nonchalante (et maîtresse de « l’atelier », comme le peintre) qui doit en (ré)évaluer le potentiel – tous les potentiels…

81- J.-M. Apostolidès définit le tableau comme « une représentation figée d’attitudes qui facilite la circulation des émotions. […] Le tableau est moins figé qu’il n’évoque par avance un procédé cher au cinéma, l’arrêt sur image » (« La Religieuse et ses tableaux », Poétique, 137, 2004, p. 74). Il nous semble cependant que Diderot joue plutôt avec les possibilités de suggestion de ce qu’on ne verra pas dans les interstices entre le statique et le dynamique.

82- Sur ce point, voir le Dossier, infra, p. 249 sq.

83- Les seules occurrences de « libertin » concernent la fin du roman : la supérieure est dite « libertine » par Le Moine, et les mauvais lieux où se retrouve Suzanne évadée sont « libertins » (p. 164 et 191).

84- Nous soulignons : il y aurait beaucoup à dire sur le choix du neutre via le déterminant indéfini et l’incertitude sur la fameuse « chose » qu’on a ou qu’on n’a pas.

85- « Je suis naturellement compatissante », affirme Suzanne (p. 173), qui vient précisément d’éconduire la supérieure sans ménagement aucun.

86- « The style of Diderot », dans Linguistics and Literary History : Essays in Stylistics, Princeton Press, 1948, p. 137-151.

87- Dans leur grande édition des Œuvres de Diderot en 1875, Tourneux et Assézat, incertains du statut de ce texte (pièce rapportée ou constitutive de l’ensemble du roman ?), ont proposé l’expression « Préface-annexe », qui a depuis été régulièrement utilisée par la critique. Compte tenu de son caractère ambigu, nous l’évitons ici.

88- Contes et romans, op. cit., p. 898. Nous soulignons.

89- Diderot, Correspondance, op. cit., p. 191. La formule « Et moi aussi je suis peintre », prêtée au Corrège, apparaît dans les Salons.

90- Sur cette picturalité, voir en particulier la « Notice » de M.