P. 89-90.
22. P. 117-118.
23. Georg Büchner, Léonce et Léna, in Œuvres complètes, Seuil, 1988, p. 222.
24. Voir l’ouvrage cité plus haut, p. 9, n. 1.
25. « Die Tiefe muss man verstecken. Wo ? An der Oberfläche », in Hugo von Hofmannsthal, Buch der Freunde, in Gesammelte Werke in 10 Bänden, Band 10, Reden und Aufsätze III, Frankfurt/Main, Fischer, 1986, p. 268.
La Ronde
DIX DIALOGUES
PERSONNAGES
LA FILLE
LE SOLDAT
LA FEMME DE CHAMBRE
LE JEUNE MONSIEUR
LA JEUNE FEMME
LE MARI
LA GRISETTE
LE POÈTE
L’ACTRICE
LE COMTE
I
LA FILLE ET LE SOLDAT
Tard le soir. Au pont d’Augarten1.
LE SOLDAT, passe en sifflant,
veut rentrer chez lui.
LA FILLE
Viens, mon bel ange.
LE SOLDAT, se retourne et reprend son chemin.
LA FILLE
Tu veux pas venir avec moi ?
LE SOLDAT
Ah, c’est moi le bel ange alors ?
LA FILLE
Pour sûr, qui donc sinon ? Allez, viens chez moi. J’habite tout près d’ici.
LE SOLDAT
J’ai pas l’temps. Faut que j’rentre à la caserne !
LA FILLE
T’y seras toujours assez tôt, à la caserne. Chez moi, c’est mieux.
LE SOLDAT, près d’elle.
Possible.
LA FILLE
Chut, il peut s’amener un flic à chaque instant.
LE SOLDAT
Ridicule ! Un flic ! Moi aussi j’ai ma baïonnette.
LA FILLE
Allez, viens.
LE SOLDAT
Fiche-moi la paix. Et puis j’ai pas d’argent.
LA FILLE
Pas besoin d’argent.
LE SOLDAT, s’arrête.
Ils sont sous un réverbère.
T’as pas besoin d’argent ? Mais alors, t’es qui, toi, après ?
LA FILLE
Il y a les civils qui m’paient. Un gars comme toi peut toujours l’avoir gratis avec moi.
LE SOLDAT
Ah, mais finalement, c’est peut-être bien toi dont m’a parlé Huber.
LA FILLE
Huber ? J’connais pas.
LE SOLDAT
Oui, ce sera bien toi. Tu sais – au café de la rue de la Batellerie1 –, d’là, il t’a suivie chez toi.
LA FILLE
Oh là, du café, j’en ai ramené un tas chez moi !
LE SOLDAT
Alors allons-y, allez.
LA FILLE
Quoi, te v’là pressé maintenant ?
LE SOLDAT
Allez ! On attend quoi, encore ; à dix heures, faut qu’j’sois à la caserne.
LA FILLE
Y a longtemps que t’es à l’armée ?
LE SOLDAT
Ça t’regarde ? T’habites loin ?
LA FILLE
Dix minutes de marche.
LE SOLDAT
Trop loin pour moi. Donne-moi un bécot.
LA FILLE, l’embrasse.
Moi, de toute façon, c’est ça que j’préfère, quand y en a un qui me plaît.
LE SOLDAT
Pas moi. Non, j’irai pas avec toi, c’est trop loin pour moi.
LA FILLE
T’sais quoi ? Viens demain après-midi.
LE SOLDAT
C’est bon. Donne-moi ton adresse.
LA FILLE
Mais après, tu viendras pas.
LE SOLDAT
Si j’te l’dis !
LA FILLE
Hé, t’sais quoi, si chez moi c’est trop loin pour toi ce soir – alors là… là…
Elle pointe en direction du Danube.
LE SOLDAT
Comment ça, là ?
LA FILLE
Là, c’est bien tranquille aussi… personne n’y passe, à c’t’heure.
LE SOLDAT
Ah, ça m’dit pas.
LA FILLE
Moi, ça m’dit toujours. Allez, reste avec moi, maintenant. Qui sait si demain nous serons encore en vie.
LE SOLDAT
Alors viens – mais vite !
LA FILLE
Fais gaffe, là, fait noir. Si tu glisses, tu t’retrouves dans l’Danube.
LE SOLDAT
Ce serait encore le mieux !
LA FILLE
Chut, attends seulement un peu. Il y a un banc tout près.
LE SOLDAT
Tu t’repères, toi, par ici.
LA FILLE
C’est un gars comme toi qui m’faudrait comme amant.
LE SOLDAT
J’serais trop jaloux pour toi.
LA FILLE
J’t’en guérirais bien.
LE SOLDAT
Ha !
LA FILLE
Pas si fort ! Peut arriver qu’un flic se perde par ici. On croirait pas qu’on est là en plein Vienne, pas vrai ?
LE SOLDAT
Amène-toi d’ce côté, viens.
LA FILLE
Mais qu’est-ce qui t’prend, si nous glissons là, nous tombons à l’eau.
LE SOLDAT, l’a saisie.
Ah, toi –
LA FILLE
Accroche-toi bien surtout.
LE SOLDAT
Aie pas peur…
LA FILLE
Sur le banc, ç’aurait été quand même mieux.
LE SOLDAT
Ici ou ailleurs… allez, regrimpe.
LA FILLE
Pourquoi tu files comme ça ?
LE SOLDAT
J’dois rentrer à la caserne, toute façon, me v’là déjà en retard.
LA FILLE
Dis, c’est quoi ton nom ?
LE SOLDAT
Ça t’regarde, comment j’m’appelle ?
LA FILLE
Moi, je m’appelle Leocadia.
LE SOLDAT
Ah ! Jamais entendu un nom pareil !
LA FILLE
Dis !
LE SOLDAT
Ben, qu’est-ce que tu veux encore ?
LA FILLE
Donne-moi au moins une pièce pour le concierge1 !
LE SOLDAT
Non mais… Tu m’prends pour un micheton ? Adieu ! Leocadia…
LA FILLE
Maquereau ! escroc –
Il disparaît.
II
LE SOLDAT
ET LA FEMME DE CHAMBRE
Au Prater1. Dimanche soir.
Un chemin qui conduit du Wurstelprater2 aux allées sombres. Ici, on entend encore les musiques mêlées du Wurstelprater ; et aussi les sons du bal à quat’sous, une polka vulgaire, jouée par des trompettistes.
Le soldat, la femme de chambre.
LA FEMME DE CHAMBRE
Alors maintenant, dites un peu pourquoi vous avez dû partir si tôt.
LE SOLDAT, rit bêtement,
gêné.
LA FEMME DE CHAMBRE
C’était si bien, pourtant. J’aime tellement ça, danser.
Le soldat, la prend par la taille.
LA FEMME DE CHAMBRE, se laisse faire.
Mais on n’danse plus, là. Pourquoi vous m’serrez comme ça ?
LE SOLDAT
Comment vous appelez-vous ? Kathi ?
LA FEMME DE CHAMBRE
Vous avez toujours une Kathi en tête.
LE SOLDAT
Je sais, je sais bien… Marie.
LA FEMME DE CHAMBRE
Dites, mais il fait noir ici.
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