Intelligent, pourvu du certificat d’études primaires, il passait, aux yeux de certains témoins, pour être peu communicatif et avoir un caractère sournois et rancunier. S’il faut en croire un sieur Chiron qui, l’ayant rencontré vers le milieu de juillet, le félicitait d’être entré au service des époux Mabit, qui étaient de braves gens, Marcel Redureau avait tenu ce grave propos, que les événements n’ont que trop justifié : “Moi, je ne les aime pas, ils seraient bons à tuer ; si c’était moi, je les tuerais tous, je n’en laisserais pas un.” »

Au sujet de cet unique témoignage à charge du sieur Chiron, quelques remarques. Les propos rapportés par lui indiqueraient, sinon précisément une préméditation du crime, du moins certaine disposition à le commettre, qui diminuerait grandement son étrangeté. Fouillant attentivement les pièces du procès, qu’un lecteur de la N.R.F. a bien voulu me procurer (et je lui en exprime ici ma très vive reconnaissance), il m’apparaît que ces propos sont de pure invention. Que M. le Président du Tribunal ait néanmoins cru devoir en faire état, passe encore. Mais, désireux d’apprécier dans quelle mesure il convenait d’ajouter foi au témoignage de M. Chiron qui les rapporte, il est proprement monstrueux que le ministère public n’ait fait assigner devant les jurés que les témoins de moralité favorables à M. Chiron, négligeant les autres, ainsi du reste que c’était son droit strict. Il est à remarquer que ces quelques personnes favorables à Chiron, à qui la Gendarmerie s’est adressée, sont 1° le charcutier à qui M. Chiron vendait ses porcs ; 2° le boucher, à qui M. Chiron vendait ses animaux de boucherie ; 3° un autre commerçant enfin, avec qui M. Chiron faisait des affaires depuis longtemps. Les autres témoins, et dont le témoignage était de nature à modifier grandement l’opinion des jurés, auraient montré M. Chiron comme un honnête homme peut-être, mais « vantard » et « imaginatif ».

« M. Chiron, dit l’un d’eux, possède une mentalité spéciale qui le porte à raconter des choses imaginaires. Il aime à s’attribuer un rôle dans les événements importants du pays. » Ainsi, pour certaine loi de 1898, qui fît époque dans cette région, Chiron n’alla-t-il pas jusqu’à soutenir que c’était grâce à lui qu’elle avait été votée. Le document qui emporta le vote avait été fourni par lui à l’enquête, affirmait-il. Au sujet de ce crime du 30 septembre 1913, qui lui aussi devait faire date dans l’histoire locale de Landreau, Chiron ne songe pas tout d’abord à cette phrase, qu’il ne rapporta ou n’inventa que deux jours plus tard. Il émet tout d’abord l’avis que le crime ne put être commis que par un étranger.

Ajoutons encore ceci. Je disais tout à l’heure qu’aucun des témoins défavorables à Chiron n’avait été convoqué ; je me trompais. M. Pierre Bertin, qui témoigna pour dire, au sujet de la « mentalité spéciale » de Chiron, ce que j’ai rapporté plus haut, n’avait été cité que par erreur. Voici comment : deux Pierre Bertin figuraient à l’instruction ; l’un était un témoin favorable et c’est lui seulement que le Procureur prétendait faire entendre. Quand parut inopinément l’autre Pierre Bertin, témoin défavorable, M. Chiron manifesta la contrariété la plus vive et la hâte de s’esquiver.

Que l’on m’entende ; que l’on me comprenne bien : je ne prétends nullement atténuer l’atrocité du crime de Redureau ; mais lorsqu’une affaire est aussi grave, l’on est en droit d’espérer que l’accusation elle-même tiendra à cœur de présenter au regard de la justice toutes les circonstances, même celles qui pourraient être favorables à l’accusé. Surtout lorsque celui-ci est un pauvre enfant, n’ayant d’autre secours que l’assistance d’un avocat d’office.

Si j’ai longuement insisté sur ce point c’est aussi parce que l’intérêt psychologique du cas Redureau serait grandement affaibli s’il était prouvé que l’idée du crime habitait depuis longtemps l’esprit du jeune assassin, ainsi que ces propos apocryphes le donneraient à entendre. Il est à remarquer, au surplus, que c’est le seul point sur lequel proteste avec véhémence Redureau, qui, d’autre part, a fait tout aussitôt des aveux complets, reconnaissant l’exactitude de tout ce dont on l’accuse  (13)  . Mais ces propos, il ne les a jamais tenus ; avant de commettre le crime, il n’avait jamais eu l’idée de le commettre.

II

1° M. Henry Barby écrit dans Le Journal (samedi 4 octobre 1913) :

Nantes, 3 octobre (Par dépêche de notre envoyé spécial). – Je vous indiquais, hier, en terminant ma dépêche, que l’on se refusait ici à admettre qu’une simple observation de son patron ait suffi, comme le déclarait Marcel Redureau, à faire de lui l’assassin sauvagement cruel de sept personnes.

Il n’y a, en effet, chez ce gamin de quinze ans, aucune des tares héréditaires  (14)  , aucun des stigmates de dégénérescence qui caractérisent le criminel-né. Marcel Redureau est le quatrième de dix enfants, tous vigoureux, bien portants et honnêtes comme leurs parents. Ceux-ci, petits propriétaires terriens, à la fois cultivateurs et vignerons, vivent du produit de leurs récoltes. Leur demeure se trouve à trois cents mètres à peine de la ferme Mabit. Ils sont estimés dans le pays et leurs enfants n’ont reçu d’eux que de bons conseils et de bons exemples.

Leur fils Marcel-Joseph-René, dont l’épouvantable forfait vient de les plonger dans le désespoir, est né le 24 juin 1896. Il a donc exactement quinze ans et trois mois. Son enfance n’eut pas d’histoire et fut celle des petits gars de la campagne qui, à peine arrivés à l’âge de raison, vont gagner leur pain au-dehors pour alléger les charges familiales.

Le maire de Landreau, M. du Boisgueheneuc, qui le connaissait beaucoup, ne peut comprendre comment il a commis son crime :

« Marcel, déclare-t-il, dont la famille vivait en excellents termes avec les Mabit, n’avait jamais donné lieu jusqu’ici à aucune observation. Il était peut-être un peu nerveux, mais c’est tout. On le dit aujourd’hui sournois et solitaire, j’avoue que jamais personne ne s’en était aperçu auparavant. Il ne buvait pas, bref, rien ne pouvait laisser supposer qu’il fût capable de commettre un tel forfait. »

Son ancien maître d’école, M. Béranger, tient le même langage :

« D’intelligence moyenne, dit-il, Redureau s’est toujours bien conduit.