– Lorsqu’un accusé aura moins de seize ans, et s’il est décidé qu’il a agi sans discernement, il sera acquitté, mais il sera, suivant les circonstances, remis à ses parents ou conduit dans une maison de correction, pour y être élevé et détenu pendant un laps de temps qui ne dépassera pas sa vingtième année.

Art. 67. – Si, au contraire, l’accusé a agi avec discernement, il faut distinguer suivant la peine qui le frappe. Si c’est la peine de mort, ou celle des travaux forcés à perpétuité, il est condamné à la peine de dix à vingt ans d’emprisonnement dans une maison de correction. S’il a encouru la peine des travaux forcés à temps ou la réclusion, il est condamné à être enfermé dans une maison de correction pour un temps égal au moins au tiers et au plus à la moitié du temps pour lequel il aurait pu être condamné.

Ainsi, la peine la plus forte que le criminel de Landreau peut encourir est de vingt ans de prison.

Les mobiles envisagés depuis le crime disparaissent un à un. On avait pensé au vol, parce que le patron de Redureau avait touché dimanche deux mille francs, produit de la vente de son vin. L’argent a été retrouvé intact. Cette hypothèse est donc écartée. L’idée d’un crime passionnel ne semble pas non plus devoir être retenue. Reste la vengeance, le ressentiment de Redureau contre son patron qui l’aurait rudoyé. C’est, semble-t-il, de ce côté que le Juge d’instruction va diriger ses investigations.

En attendant, le prisonnier se montre toujours très calme, inconscient en apparence du crime horrible dont il est l’auteur. Il mange et dort bien et les remords ne paraissent pas l’obséder. Vendredi après-midi, il a reçu la visite de son avocat avec qui il a eu un assez long entretien.

(Le Temps, 5 octobre 1913.)

III

RAPPORT DES MÉDECINS – LÉGISTES

Je cède à présent la parole aux médecins-légistes (MM. A. Cullerre et M. Desclaux). Leur rapport est si important que l’on me saura gré, je l’espère, de le citer presque tout au long :

« Ce qui caractérise cet horrible drame, c’est que sa genèse n’emprunte rien aux conditions étiologiques habituelles de la criminalité juvénile. Ce n’est le produit ni de l’hérédité, ni de l’influence du milieu : son auteur n’a pas d’antécédents héréditaires de mauvais aloi ; il a été élevé dans un milieu irréprochable et n’a reçu que de bons principes et de bons exemples. Ce n’est pas davantage la conséquence d’une de ces tares régressives si fréquentes chez les jeunes criminels, la malfaisance instinctive, l’anesthésie psychique, l’absence de sens moral : rien, en effet, dans les anamnestiques du jeune assassin n’autorise cette hypothèse. Il est remarquable qu’aucune des personnes au milieu ou sous les yeux desquelles il a été élevé n’est venue le présenter à l’audience comme un enfant taré au point de vue mental. Tous ceux qui le connaissent ou l’ont pratiqué se sont accordés à dire qu’il est très intelligent, bon travailleur et qu’on ne lui connaît aucun vice. Un point cependant qui a, certes, son importance doit être signalé : il y a presque unanimité parmi les témoins pour lui reconnaître un caractère renfermé, un peu difficile et sournoi  (15)  .

« Ce n’est pas davantage un dégénéré au sens somatique du mot, en dépit des descriptions fantaisistes qu’on a pu lire dans certains des journaux qui ont rendu compte du procès. “Ce gamin, dit l’un d’eux, est presque un enfant dont le développement physique ne serait pas complet. Si la balustrade qui sépare le banc des accusés du prétoire n’était à claire-voie, on ne le verrait pas quand il se tient assis et, debout, il est haut comme une botte.” Or, la taille de Redureau est de 1 m 584, dépassant de cinq centimètres la moyenne de Quételet pour les garçons de seize ans. Le même journal continue ainsi : “La tête est grosse avec des cheveux blonds dont les mèches tombent sur un front bas et bombé. Le profil avec un nez droit sur une bouche largement fendue, est fuyant  (16)  .” Pas un de ces détails n’est exact et ne répond à la réalité. Le front n’est ni bas ni particulièrement bombé, encore moins fuyant. La tête et la face, dans leur ensemble, sont d’une conformation très régulière ; on n’y découvre pas le moindre stigmate de Morel. Même erreur à propos des oreilles que l’article en question déclare “énormes”. Elles ont, d’après la fiche anthropométrique, une hauteur de 6 cm 8 ; elles sont absolument symétriques, bien proportionnées, bien ourlées, ne se détachant pas du crâne. La seule particularité qu’elles présentent est la présence du tubercule de Darwin qui, sans doute, est une exception, mais non pas une anomalie.

« Un autre journal se rapproche davantage de la vérité quand il fait de l’assassin le portrait suivant :

Blond, très blond même, avec des yeux bleus, il est plutôt gentil garçon ; il est loin d’avoir la face de brute qu’on s’accorde d’ordinaire à attribuer aux assassins  (17)  .”

« Ce garçon est un renfermé, un sournois : c’est tout ce qu’on a pu trouver pour expliquer son crime. Et encore, avant ce jour-là, personne peut-être ne se fût avisé d’incriminer son caractère.