Ses parents ne l’ont jamais connu sous cet aspect ; l’instituteur qui lui a fait la classe pendant six ans, pas davantage.
« L’impulsivité propre aux années climatériques de l’adolescence, le formidable instrument de mort qu’on appelle dans ce pays un couteau à raisins, qui tient de la faux et de la hache et s’est trouvé sous sa main, telles sont sans doute les circonstances déterminantes de cette épouvantable tuerie.
« Le crime accompli par le jeune Redureau est un des plus effroyables qui se puisse imaginer. Le 30 septembre 1913, vers dix heures et demie du soir, alors qu’il était occupé au pressoir avec son patron, ce dernier lui ayant fait des reproches sur son travail, il l’assomma avec un pilon, puis l’égorgea avec le couteau à raisins. Après quoi, il se rendit à la maison d’habitation où il tua successivement de la même manière la dame Mabit, sa servante, sa belle-mère et trois de ses enfants, s’acharnant sur ses victimes avec une violence inouïe. Nous n’insisterons pas davantage ici sur la description détaillée du drame dont nous nous réservons d’étudier ultérieurement toutes les circonstances.
« Nous avons recueilli auprès des parents mêmes de l’inculpé les renseignements suivants sur ses antécédents héréditaires et personnels :
« Il n’y a eu, chez les ascendants directs, ni parmi leurs ancêtres, ni chez les collatéraux des deux branches aucune affection vésanique ou convulsive. On n’y trouve pas non plus d’originaux, d’individus bizarres, ni d’alcooliques.
« Le père et la mère sont bien portants, de constitution robuste. Ils n’ont fait aucune maladie grave ayant intéressé leur constitution physique ou leurs fonctions cérébrales.
« Ils ont eu onze enfants, dont dix sont vivants, six garçons, quatre filles. L’aînée, une fille, a vingt et un ans et la plus jeune vingt mois. Le troisième, un garçon, est mort quatre jours après sa naissance. L’inculpé est le cinquième dans l’ordre des naissances. Les grossesses et les accouchements de la mère ont été normaux. Aucun des enfants n’a eu de maladies graves, soit générales, soit intéressant le système nerveux ou les fonctions cérébrales. Ils sont tous robustes et n’ont jamais donné d’inquiétude relativement à leur santé.
« À part quelques petites indispositions de l’enfance, Marcel, l’inculpé, n’a fait d’autre maladie qu’une crise rhumatismale en septembre 1912 ; alors qu’il était en service chez M. B…, il fut pris de fièvre et de douleurs dans les articulations, principalement les genoux qui, pourtant, n’enflèrent pas. Il ne fut que huit jours malade et se remit au travail quinze jours après le début de la maladie.
« Il est intelligent et a reçu le certificat d’études primaires. Personne n’a jamais eu à se plaindre de lui sous aucun rapport ; pas plus ses patrons que ses camarades ou les gens du pays. Il n’a jamais manifesté de mauvais instincts. Il n’est pas batailleur, ne s’est jamais montré cruel envers les animaux.
« Les parents reconnaissent qu’il est un peu nerveux, vif, espiègle, mais sans méchanceté. Il est peureux dans le sens général du mot (18) . Sur ce point, ainsi que sur le caractère, ils ne peuvent préciser davantage. Marcel n’avait aucun goût pour la dissipation, ne buvait pas, et passait ses jours de congé à jouer avec ses camarades. Ils n’ont point constaté qu’il eût un goût immodéré pour la lecture. Il avait passé chez eux le dimanche précédent et ils n’avaient rien remarqué d’insolite en lui. Il ne s’est jamais plaint devant eux de son patron Mabit. Le crime les étonne profondément et ils ne trouvent rien pour l’expliquer.
« Si nous rapprochons ces renseignements de ceux que nous trouvons dans le dossier de la procédure et qui émanent, soit des autorités, soit des témoins interrogés à l’instruction, nous constatons qu’ils n’en diffèrent sur aucun point capital.
« Le juge de paix du Loroux-Bottereau, dans le bulletin de renseignements qu’il a délivré sur le prévenu, déclare qu’on ne lui connaît aucun défaut essentiel, mais qu’il est d’un caractère “un peu nerveux, sournois parfois”.
« L’instituteur qui l’a élevé a déposé : Marcel Redureau était d’une intelligence un peu au-dessus de la moyenne, bon élève, rarement puni. Pendant qu’il fréquentait l’école, il n’a donné lieu à aucune plainte. Il avait assez bon caractère et ne paraissait pas être sournois. Il avait une bonne conduite. Il n’a donné lieu à aucune remarque défavorable au point de vue de la probité et de la moralité.
« Aucune des dépositions des témoins ne s’écarte sensiblement de celle de l’instituteur, sauf sur un point : le caractère.
« Le témoin B…, son oncle, qui l’a eu chez lui de onze à quatorze ans, n’a pas eu à se plaindre de lui, mais il était peu causeur et avait un caractère sournois.
« Le témoin C…, voisin du précédent, qui a très bien connu Marcel, a déposé qu’il avait une bonne conduite, qu’il était bon travailleur, mais qu’il avait le caractère “très renfermé” et que, souvent, quand on lui adressait la parole, il ne répondait pas.
« Le témoin Br…, qui l’a eu à son service, le déclare très intelligent, mais lui trouve “un caractère sournois, très indépendant
« Tous les autres témoins insistent sur cette particularité du caractère de l’inculpé, mais aucun ne fournit, sur ses tendances et sa moralité, de renseignements défavorables.
« Mme Br…, femme du témoin précédent, n’a fait aucune observation défavorable sur son caractère, sur son travail ou sa conduite et ne s’est point aperçue qu’il fût violent.
« Il y a une déposition qui, si elle est véridique, fait nettement ressortir les défectuosités du caractère de Marcel Redureau : c’est celle du témoin Ch… Ayant rencontré l’inculpé vers la mi-juillet et ayant appris qu’il était placé chez les Mabit, il l’en félicita, ces gens étant “de bon monde”. Mais l’inculpé aurait répondu : “Moi, je ne les aime pas ; ils seraient bons à tuer ; si c’était moi, je les tuerais tous ; je n’en laisserais pas un.” Le témoin ajoute que Redureau “parlait d’un ton très dur et paraissait sous l’influence d’une contrariété”. Ce propos, tenu sous l’influence de la colère, trahirait incontestablement une humeur violente et vindicative. Toutefois, nous ne devons pas oublier que l’inculpé nie énergiquement l’avoir tenu.
« En somme, la seule remarque qui ait été faite sur la mentalité de Redureau concerne son caractère.
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