Voici l’un des membres de cette troupe sacrée qui accomplit la corvée nécessaire quoique ingrate. En effet, j’éprouvai un léger remords, parce que j’observais la scène depuis une fenêtre et que je n’étais pas dehors à m’échiner dans un semblable travail. La journée s’écoula. Le soir, je passai devant la cour d’un autre voisin, qui a de nombreux domestiques à son service, et dépense beaucoup d’argent inconsidérément, tandis qu’il n’ajoute rien au lot commun : je vis là la pierre de la matinée couchée à côté d’une structure fantasque destinée à orner la propriété de ce Lord Timothy Dextera, et le labeur du charretier en perdit aussitôt toute dignité à mes yeux. À mon sens, le soleil fut créé pour éclairer des travaux de plus de valeur que celui-ci. Je pourrais ajouter que, depuis, son employeur s’est enfui, endetté auprès d’une grande partie de la ville ; après avoir été traduit en justice, il s’est installé ailleurs, pour y patronner les arts une fois encore.

Les moyens de gagner de l’argent vous entraînent presque sans exception vers le bas. Avoir fait quelque chose uniquement pour gagner de l’argent, c’est avoir été vraiment oisif, ou pire. Si le travailleur ne gagne pas plus que les gages versés par son employeur, il est volé, il se vole lui-même. Si vous voulez gagner de l’argent comme écrivain ou conférencier, vous devez être populaire, ce qui signifie tomber plus bas que terre. Ces services que la communauté paiera sur-le-champ sont fort désagréables à rendre. Vous êtes payé pour être moins qu’un homme. D’ordinaire, les États ne récompensent pas le génie avec plus de lucidité. Même le poète lauréat aimerait mieux ne pas célébrer les menus faits de la royauté. On doit le corrompre avec un pot-de-vin, et peut-être faudra-t-il arracher un autre poète à sa muse et l’appeler à jauger ce pot. Quant à moi, le genre d’arpentage que je pourrais faire avec beaucoup de plaisir, mes employeurs n’en veulent pas. Ils préféreraient que je m’acquitte de mon travail grossièrement et pas trop bien, voire, pas bien du tout. Quand je fais remarquer qu’il existe différentes façons d’arpenter, mon employeur demande généralement laquelle lui donnera le plus de terres et non la plus exacte. J’ai autrefois inventé une règle pour mesurer les stères de bois, que j’ai essayé d’introduire à Boston ; sur place, les responsables des mesures m’ont expliqué que les vendeurs ne souhaitaient pas voir leur bois mesuré correctement – que cette mesure était déjà trop précise pour eux et, par conséquent, ils faisaient plutôt mesurer leur bois à Charles-town b avant de franchir le pont.

Le but du travailleur ne devrait pas être de gagner sa vie, d’avoir « un bon boulot », mais de bien accomplir une tâche donnée ; même d’un point de vue pécuniaire, ce serait une économie pour une ville que de payer ses travailleurs si bien qu’ils ne se rendraient plus compte qu’ils travaillent à de basses fins, uniquement pour gagner leur pain, mais à des fins scientifiques voire morales. N’engagez pas un homme qui fait son travail pour de l’argent, mais celui qui le fait par amour de sa tâche.

Il est remarquable qu’il y ait peu d’hommes bien employés, selon leur intelligence, qu’un peu d’argent ou de célébrité n’achète en général en les arrachant à leur activité du moment. Je vois des offres d’emploi en mer pour des jeunes gens actifs, comme si l’activité était le seul capital d’un jeune homme. Pourtant, j’ai été surpris quand quelqu’un m’a proposé en toute confiance, un adulte, d’embarquer dans pareille entreprise, comme si je n’avais absolument rien à faire, ma vie ayant été jusque-là un échec complet. C'est me payer d’un complément bien douteux ! Comme s’il m’avait rencontré au cœur de l’océan luttant contre le vent, ballotté et sans destination, et qu’il m’eût proposé de partir avec lui ! Si je l’avais fait, qu’auraient dit selon vous les assureurs de la compagnie maritime ? Non, non ! À ce stade du voyage, je ne suis pas sans emploi. À dire vrai, j’ai vu une publicité pour recruter de robustes marins, quand j’étais enfant et que je me baladais dans mon port natal, et dès que je fus en âge de le faire, je m’embarquai.

La communauté n’a aucun moyen de corruption susceptible de suborner un homme sage. On peut amonceler assez d’argent pour creuser un tunnel dans une montagne, mais on ne peut en amonceler suffisamment pour engager un homme qui s’occupe de ses propres affaires. Un homme efficace et de valeur fait ce qu’il peut, que la communauté le paye ou non pour cela. Les incompétents proposent leur incompétence aux plus offrants, et s’attendent toujours à être embauchés. On peut supposer qu’ils ont rarement été déçus.

Peut-être suis-je plus jaloux que le commun des mortels pour tout ce qui a trait à ma liberté. J’ai le sentiment que mes liens avec la société et mes obligations à son égard sont encore très ténus et passagers. Ces petits boulots qui me procurent un gagne-pain, et grâce auxquels on s’accorde à me trouver quelque peu utile à mes contemporains, sont jusque-là, en général, un plaisir pour moi, et j’en oublie aisément qu’ils sont une nécessité. Jusqu’à présent, j’ai réussi.