Lady Ludlow ne
voulait rien de tout cela qu’elle considérait comme subversif et
révolutionnaire. Quand une servante se présentait pour être engagée, milady la
prenait à part pour voir si sa figure et sa mise lui convenaient, et elle la
questionnait sur sa famille. Elle attachait à ce dernier point une grande importance,
disant qu’une jeune fille qui reste indifférente quand on prend intérêt à sa
mère ou à ses frères et sœurs, quand c’est le cas, ne peut pas faire une bonne
servante. Elle la faisait alors lever pour voir si elle était bien et
proprement chaussée. Elle examinait ensuite si elle savait son Pater et son
Credo. Enfin, elle lui demandait si elle savait écrire. Si la réponse était
affirmative et que l’examen précédant ait tourné à sa satisfaction, elle
prenait un air consterné, rien ne pouvait la désappointer davantage, car
c’était, chez elle, une règle inviolable de ne jamais engager une servante
sachant écrire. Pourtant, je l’ai vu passer outre deux fois, mais, chaque fois,
elle soumit les candidates à une épreuve supplémentaire en leur demandant de
réciter les dix commandements. Une alerte jeune personne, – j’en fus
fâchée pour elle sur le moment, mais par la suite elle épousa un riche drapier
de Shrewsbury – qui avait passé convenablement par toutes ces épreuves,
bien qu’elle sût écrire, gâta toute son affaire, en ajoutant à la fin des
commandements :
— Et, s’il vous plaît, Votre Seigneurie, je
sais aussi compter !
— Allez-vous-en, malheureuse, dit
précipitamment milady, vous êtes tout au plus bonne pour le commerce. Vous ne
ferez jamais une servante.
La pauvre fille s’en alla tombant de son haut ;
une minute après, cependant, milady me dépêcha, après elle, pour veiller à ce
qu’elle eût quelque chose à manger avant de quitter la maison ; et, de
fait, elle la fit rappeler mais ce fut seulement pour lui offrir une bible et
l’engager à se défier des principes français qui avaient conduit ce peuple à
faire tomber la tête de leur roi et de leur reine.
La pauvre fille, toute larmoyante, articula :
— Mais, Votre Seigneurie, je ne ferais pas de
mal à une mouche, encore moins à un roi, et à cause de cela je ne puis souffrir
les Français ni les grenouilles.
Mais milady fut inexorable et engagea une jeune
fille qui ne savait ni lire ni écrire, pour se dédommager de l’alarme que lui
causaient les progrès de l’éducation en matière d’addition et de
soustraction ; et, par la suite, à la mort du clergyman qui desservait la
paroisse à mon arrivée, l’évêque en ayant nommé un plus jeune, ce fut un des
points sur lesquels milady et lui ne pouvaient se mettre d’accord. Du temps du
bon vieux Mr. Mountford, qui était sourd, c’était l’habitude de milady,
lorsqu’elle n’avait pas envie d’entendre un sermon, de se placer à la porte de
son grand banc, juste devant la chaire, et de dire (à cet endroit du service où
l’on annonce aux chanteurs que c’est le moment d’entonner l’antienne) :
« Mr. Mountford je ne veux pas vous donner la peine de faire un
discours ce matin. » Et nous nous prosternions tous pour la litanie avec
une grande satisfaction. Car Mr. Mountford, encore qu’il n’entendît rien,
avait toujours les yeux ouverts sur les moindres mouvements de milady à ce
moment du service.
Mais le nouveau pasteur, Mr. Gray, était
d’une autre étoffe. Il apportait un zèle véritable dans tout ce qui concernait
l’exercice de son ministère paroissial ; et milady, qui était aussi bonne
que possible pour les pauvres, répétait souvent que sa venue était un bienfait
de la Providence pour la paroisse. Jamais il ne s’en allait les mains vides
quand il s’adressait au château pour se procurer du bouillon, du vin ou autres
denrées pour une personne malade. Mais il lui fallait s’arrêter sur le chapitre
de la nouvelle marotte de l’éducation. Et je pus voir dans quel état se mit
milady, à ce sujet, un dimanche où elle vint à soupçonner, je ne sais comment,
qu’il allait faire allusion dans son sermon à l’établissement d’une école du
dimanche, qu’il projetait. Elle se leva, comme elle ne l’avait pas fait depuis
la mort de Mr. Mountford, il y avait deux ans et plus, et dit :
« Mr. Gray, je ne veux pas vous donner la peine de faire un sermon ce
matin. »
Mais sa voix n’était ni ferme ni bien assurée, et
nous nous agenouillâmes avec plus de curiosité que de satisfaction.
Mr. Gray fit un prêche des plus convaincants sur la nécessité d’établir
une école du dimanche dans le village. Milady ferma les yeux et eut l’air de
dormir, mais je crois bien qu’elle n’en perdit pas un mot. Pourtant, je ne lui
entendis rien dire à ce sujet, jusqu’au samedi suivant, où, selon la coutume,
deux d’entre nous l’accompagnaient dans une course en voiture, pour aller voir
une pauvre femme alitée à quelques milles de là, à l’autre extrémité de la
paroisse. En sortant du cottage, nous rencontrâmes Mr. Gray qui venait de
notre côté. Il avait très chaud et paraissait vraiment fatigué. Milady lui fit
signe d’approcher et lui dit qu’elle allait l’attendre pour le ramener chez lui
avec elle, en ajoutant qu’elle était très étonnée de le voir loin de chez lui,
car c’était là une course qui dépassait le cadre d’une promenade d’un jour de
sabbat et elle avait retenu de son dernier sermon qu’il était entièrement pour
le judaïsme contre la chrétienté. Il ne parut pas comprendre. À la vérité, non
seulement il avait parlé en faveur des écoles et de l’enseignement, mais il
s’était obstiné à appeler sabbat le dimanche ; et, comme le disait Sa
Seigneurie : « Le sabbat est le sabbat, c’est là un fait, et il tombe
ion samedi ; et, si je l’observe, je suis juive, ce que je ne suis pas. Et
le dimanche est le dimanche ; et, si je l’observe, je suis chrétienne, ce
qui, je l’avoue humblement, est mon cas. »
Mais lorsque Mr. Gray eut saisi ce qu’elle
voulait dire en parlant d’une promenade le jour du sabbat, il fit comme s’il
n’en avait compris qu’une partie. S’inclinant avec un sourire, il déclara que
Sa Seigneurie savait mieux que personne distinguer ceux d’entre nos devoirs qui
l’emportaient sur les prescriptions secondaires relatives au sabbat ; et
comme il lui fallait aller lire la Bible à la vieille Betty Brown, il ne
voulait pas, en conséquence, retarder Sa Seigneurie.
— Mais je puis vous attendre, Mr. Gray,
dit-elle, je ferai un tour du côté d’Oakfield, et je serai là dans une heure.
(Ceci, vous le voyez, de peur qu’il ne fût gêné à l’idée de la faire attendre
et qu’il puisse prendre son temps pour exhorter la vieille Betty et prier avec
elle.)
— C’est un bien charmant jeune homme,
dit-elle, quand nous repartîmes, mais je ferai vitrer mon banc tout de même.
Sur le moment, nous ne comprîmes pas ce qu’elle
voulait dire. Mais nous fûmes fixées le dimanche suivant. Tous les rideaux qui
entouraient le vieux banc familial des Hanbury avaient été enlevés et remplacés
par un vitrage de six ou sept pieds de haut. On entrait par une porte, munie
d’un châssis fonctionnant de bas en haut, exactement comme la glace d’une
voiture. Ce châssis était généralement ouvert, et l’on entendait, alors,
parfaitement mais, si Mr. Gray articulait le mot de sabbat ou faisait mine
d’aborder le chapitre de l’école ou de l’éducation, milady se levait de son
banc et fermait la vitre d’un coup sec et décidé.
Il faut que je m’étende un
peu sur Mr. Gray.
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