Dans ce testament, il donnait mille livres sterling à une personne que nous connaissions très bien l’un et l’autre, en fidéicommis, pour les compter, avec les intérêts à partir de la date de son décès, à moi ou à mes ayants-droit ; il y avait ensuite inscrit le payement de ce qu’il appelait mon douaire, c’est-à-dire une obligation de cinq cents livres, payable après sa mort ; en outre, il me donnait tous les ustensiles de ménage, vaisselle, etc.

C’étaient là des prévenances bien séduisantes de la part d’un homme vis-à-vis d’une personne dans ma situation ; et il eut été dur, comme je le lui disais, de lui refuser quoi que ce fût, ou de ne pas vouloir l’accompagner n’importe où. Nous réglâmes donc tout de notre mieux, et laissâmes la maison aux soins d’Amy. Quant à ses autres affaires, – il faisait le commerce de joaillerie, – il avait deux hommes de confiance, pour lesquels il avait bonne caution, qui dirigeraient sa maison et correspondraient avec lui.

Les choses étant ainsi arrangées, nous partîmes pour la France. Nous arrivâmes heureusement à Calais, et, voyageant à petites journées, au bout de huit jours, nous fûmes à Paris, où nous nous logeâmes dans la maison d’un marchand anglais de sa connaissance, qui le reçut avec beaucoup d’affabilité.

Mon amant avait des affaires avec certaines personnes de la plus haute qualité, auxquelles il avait vendu quelques joyaux de très grand prix, et dont il reçut une grosse somme en espèces. Il me dit en confidence qu’il gagnait à ce marché trois mille pistoles. Mais il ne voulait pas laisser savoir, même à son plus intime ami, ce qu’il avait reçu, car il n’est pas si sûr à Paris d’avoir une grosse somme d’argent à garder qu’il peut l’être à Londres.

Nous prolongeâmes ce voyage beaucoup plus que nous n’en avions dessein ; monsieur fit dire à un de ses gérants à Londres de venir nous trouver à Paris avec quelques diamants, puis il le renvoya à Londres pour en chercher d’autres. Alors d’autres affaires lui tombèrent entre les mains d’une façon si inattendue, que je commençai à croire que nous allions établir là notre résidence ordinaire ; ce à quoi je n’étais pas très opposée, car c’était mon pays natal et j’en parlais parfaitement bien la langue. Nous prîmes donc une maison convenable à Paris, et nous y vécûmes fort bien. Je fis dire à Amy de venir nous trouver, car je menais une vie élégante, et monsieur fut deux ou trois fois sur le point de me donner une voiture ; mais je la refusai, surtout à Paris. D’ailleurs, comme on peut s’y procurer cette commodité à tant par jour, j’avais un équipage retenu pour moi toutes les fois qu’il me plaisait. Je faisais très bonne figure, et j’aurais même pu mener plus grand train, si cela m’avait convenu.

Mais, au milieu de toute cette félicité, un épouvantable désastre me frappa, qui mit toute mon existence hors de ses gonds et me rejeta dans la même condition où j’étais auparavant ; avec cette heureuse différence, cependant, que, tandis qu’auparavant j’étais pauvre jusqu’à la misère, je me trouvais maintenant, non seulement à l’abri du besoin, mais très riche.

Monsieur avait à Paris le renom d’un homme très opulent ; et il l’était en effet, bien qu’il ne le fût pas si immensément que les gens se l’imaginaient. Mais ce qui lui fut fatal, ce fut qu’il avait l’habitude, surtout lorsqu’il allait à la cour ou chez les princes du sang, de porter dans sa poche un écrin en chagrin, dans lequel il avait des joyaux de très grand prix.

Il arriva un jour que, devant aller à Versailles chez le prince de ***, il monta le matin dans ma chambre et déposa sa boîte à bijoux, parce qu’il n’allait pas pour en montrer, mais pour faire accepter une lettre de change étrangère, qu’il avait reçue d’Amsterdam. Il me dit, en me donnant la boîte :

« Ma chère, je n’ai pas besoin d’emporter ceci avec moi, parce qu’il se peut que je ne revienne qu’à la nuit, et ce serait trop risquer. »

Je répliquai :

« Alors, mon cher, vous n’irez pas.

» – Pourquoi ? demanda-t-il.

» – Parce que, si ces bijoux vous sont trop précieux pour que vous les risquiez, vous m’êtes trop précieux pour que je vous risque ; et vous n’irez pas, à moins que vous ne me promettiez de ne pas vous attarder de façon à revenir pendant la nuit.

» – J’espère qu’il n’y a pas de danger, reprit-il, du moment que je n’ai sur moi rien de valeur. » Il ajouta : « Et de peur qu’il ne m’en reste, prenez aussi cela. »

Et il me donna sa montre en or et un riche diamant monté en bague qu’il portait toujours au doigt.

« Eh bien ! mais, mon cher, lui dis-je, vous me rendez plus inquiète que je ne l’étais : car si vous n’appréhendez aucun danger, pourquoi prenez-vous ces précautions ? Et si vous appréhendez qu’il y ait du danger, pourquoi y allez-vous ?

» – Il n’y a pas de danger si je ne reste pas tard, répondit-il. Et je n’ai pas l’intention de le faire.

» – Bien ; mais promettez-moi que vous ne le ferez pas. Autrement, je ne saurais vous laisser partir.

» – Je ne le ferai certainement pas, ma chère, à moins d’y être obligé. Je vous assure que je n’en ai pas l’intention. Mais s’il le fallait, je ne vaux plus la peine qu’on me vole maintenant, car je n’ai rien sur moi qu’environ six pistoles dans ma petite bourse, et cette petite bague. » Il me montrait un petit diamant monté en bague, valant de dix à douze pistoles, qu’il mit à son doigt, à la place du riche anneau qu’il portait d’ordinaire.

Je le pressai encore de ne pas rester tard, et il dit qu’il ne le ferait pas.

« Mais, ajouta-t-il, si je suis retenu plus tard que je ne m’y attends, je resterai toute la nuit, et je reviendrai le lendemain matin. »

Cela semblait une excellente précaution. Cependant, je n’avais pas encore l’esprit tranquille à son sujet ; je le lui dis, et le suppliai de ne pas y aller. Je lui dis que je ne savais quelle pouvait en être la raison, mais que j’avais dans l’esprit une terreur étrange à propos de son départ, et que, s’il y allait, j’étais persuadée qu’il lui arriverait quelque mal. Il sourit, et répliqua :

« Eh bien ! ma chère, s’il en était ainsi, vous êtes maintenant richement pourvue ; tout ce que j’ai ici, je vous le donne. »

Et en même temps il prenait la cassette, ou boîte, et continuait :

« Tenez ! tendez la main ; il y a une belle terre pour vous dans cette boîte. Si quelque chose m’arrive, elle est absolument à vous ; je vous la donne, à vous seule. »

Et là-dessus, il mit dans mes mains la cassette, la belle bague, sa montre en or, et, en outre, la clef de son secrétaire, ajoutant :

« Et dans mon secrétaire il y a quelque argent. Il est tout à vous. »

Je le regardai avec un air d’effroi, car il me semblait que toute sa face était pareille à une tête de mort ; puis, immédiatement, il me sembla que j’apercevais sa tête toute sanglante ; puis, ses vêtements me semblèrent sanglants aussi ; et, soudainement, tout s’évanouit, et il m’apparut de nouveau avec l’air que réellement il avait. Aussitôt j’éclatai en pleurs, et je me suspendis à lui.

« Mon cher, lui dis-je, j’ai une frayeur mortelle. Vous n’irez pas. Soyez sûr que quelque accident vous frappera. »

Je ne lui dis pas comment mon imagination pleine de vapeurs me l’avait représenté. Il me semblait que cela n’était pas convenable. En outre, il n’aurait fait que rire de moi et serait parti en plaisantant. Mais je le pressai sérieusement de ne pas y aller ce jour-là ou, s’il le faisait, de me promettre de revenir chez lui, à Paris, pendant le jour. Il prit alors un air un peu plus grave qu’à l’ordinaire, et me dit qu’il n’appréhendait pas le moindre danger, mais que, s’il y en avait, ou bien il s’arrangerait de manière à revenir pendant la journée, ou, comme il me l’avait dit auparavant, il passerait la nuit là-bas.

Mais toutes ces promesses n’aboutirent à rien, car il fut attaqué et volé en plein jour, en allant, par trois hommes à cheval et masqués. L’un d’eux, qui, sans doute, le dépouillait pendant que le reste arrêtait le carrosse, lui donna un coup d’épée au travers du corps, dont il mourut sur-le-champ. Il y avait, derrière le carrosse, un valet de pied qu’ils assommèrent avec la crosse ou le bout d’une carabine. On supposa qu’ils le tuèrent de rage de ne pas trouver sa boîte ou cassette à diamants, qu’ils savaient qu’il portait ordinairement sur lui ; et on fit cette supposition parce qu’après l’avoir tué, ils obligèrent le cocher à s’écarter de la route fort loin à travers la lande, jusqu’à ce qu’ils fussent arrivés en un lieu commode, où ils le tirèrent du carrosse et fouillèrent ses habits plus minutieusement qu’ils ne l’avaient pu faire lorsqu’il était vivant.

Mais ils ne trouvèrent que sa petite bague, six pistoles, et la valeur d’environ sept livres de France en menue monnaie.

Ce fut un coup terrible pour moi ; et cependant je ne puis dire que j’en fus aussi surprise que je l’aurais été dans d’autres circonstances ; car, depuis son départ, mon esprit avait été constamment accablé du poids de mes pensées, et j’étais si certaine de ne plus le revoir que rien je crois ne peut se comparer à ce pressentiment.