Je vous dis que ce sont des parents à moi, et non à vous, et qu’ils ne percheront pas ici. Ils iront à la paroisse.

« – Tous vos parents sont les miens à présent, dit le bon gentleman avec un grand calme ; et je ne verrai pas vos parents dans la misère sans en prendre pitié, non plus que je ne verrais les miens. Non, vraiment, ma chère, ils n’iront pas à la paroisse. Je vous l’affirme, aucun des parents de ma femme n’ira à la paroisse, si je peux l’empêcher.

» – Et quoi ? voulez-vous prendre quatre enfants à élever ? dit la femme.

» – Non, non, ma chère. Il y a votre sœur *** : j’irai lui parler ; et votre oncle *** ; je l’enverrai chercher, lui et les autres. Je vous promets que, lorsque nous serons tous ensemble, nous trouverons les voies et moyens pour garantir ces quatre pauvres petits êtres de la mendicité et de la faim ; autrement ce serait bien dur. Nous ne sommes, personne de nous, en si mauvaise position de fortune que nous ne puissions mettre de côté quelques miettes pour les orphelins. Ne fermez pas vos entrailles à la pitié devant votre propre chair et votre propre sang. Pourriez-vous entendre ces pauvres enfants innocents crier la faim à votre porte, et ne pas leur donner du pain ?

» – Et quel besoin qu’ils crient à notre porte, s’il vous plaît ? dit-elle. C’est l’affaire de la paroisse de s’occuper d’eux. Ils ne crieront pas à notre porte. Et s’ils crient, je ne leur donnerai rien.

» – Vous ne leur donnerez rien ? dit-il. Mais moi, je leur donnerai. Rappelez-vous que l’Écriture a une parole terrible dirigée contre nous. Proverbes, chapitre XXI, verset 13 : « Quiconque se bouche les oreilles aux cris des pauvres, celui-là criera aussi lui-même, mais personne ne l’entendra. »

» – C’est bien, c’est bien, dit-elle. Il faut bien que vous fassiez ce que vous voulez, puisque vous prétendez être le maître. Mais si j’étais libre, je les enverrais où ils doivent être envoyés. Je les enverrais d’où ils viennent.

La pauvre femme mit alors son mot.

» – Mais, madame, dit-elle, ce serait les envoyer mourir de faim, en vérité ; car cette paroisse d’où ils viennent, n’est point obligée à se charger d’eux, et par conséquent, ils coucheraient et périraient dans la rue.

» – Ou on les renverrait à notre paroisse dans la voiture de l’hôpital, en vertu d’un mandat du juge de paix, dit le mari ; et nous serions ainsi, nous et tous nos parents, couverts de honte aux yeux de nos voisins et de ceux qui ont connu le bon vieux gentleman, leur grand-père, qui a demeuré et fleuri dans cette paroisse pendant tant d’années, si aimé de tout le monde, et le méritant si bien.

» – Je me soucie de tout cela moins que d’un liard, quant à moi, dit la femme. Je n’en garderai pas un.

» – Bien, ma chère, dit le mari ; mais moi, je m’en soucie, et je ne veux pas avoir cette tache sur ma famille et sur nos enfants. C’était un ancien, un homme digne et bon, et son nom est respecté de tous ses voisins. On reprochera, à vous qui êtes sa fille, et à nos enfants qui sont ses petits-enfants, de laisser les enfants de votre frère périr, ou tomber à la charge du public, au lieu même où florissait autrefois votre famille. Allons, n’en dites pas davantage. Je vais voir ce qu’on peut faire. »

Là-dessus, il convoque et rassemble tous les parents à une taverne près de là.

Il envoya chercher les quatre petits enfants, pour qu’on les vît. Dès le premier mot, tous convinrent qu’ils s’en chargeraient ; et, comme sa femme était dans une rage telle qu’elle ne voulait pas permettre qu’on en gardât un seul chez elle, ils convinrent de les garder tous ensemble momentanément. En conséquence, ils les confièrent à la pauvre femme qui avait préparé l’affaire, et ils s’obligèrent, vis-à-vis les uns des autres, à fournir les sommes nécessaires pour leur entretien. Enfin, pour qu’aucun des enfants ne fût séparé des autres, ils envoyèrent chercher le plus jeune dans la paroisse où on l’avait accepté, et ils les firent tous élever ensemble.

J’empièterais trop sur le reste de mon récit si je racontais en détail la tendresse charitable avec laquelle cet excellent homme, qui n’était que l’oncle par alliance de mes enfants, conduisit toute l’affaire, et quel soin il prit d’eux : allant constamment les voir, s’assurant qu’ils avaient tout ce qu’il leur fallait, qu’ils étaient bien vêtus, qu’ils allaient à l’école, et finalement qu’ils entraient dans le monde dans de bonnes conditions. Il suffit de dire qu’il se conduisit plutôt comme un père envers eux que comme un oncle par alliance, bien que ce fût toujours tout à fait en opposition à la volonté de sa femme, qui n’avait point le cœur si tendre et si compatissant que son mari.

Vous pouvez croire que j’appris tout cela avec le même plaisir que j’en ressens maintenant à le rapporter ; car j’avais une peur terrible en pensant que mes enfants seraient élevés dans le malheur et la misère, comme il doit arriver à ceux qui n’ont pas d’amis, mais qui sont abandonnés à la bienfaisance d’une paroisse.

Cependant, je commençais une nouvelle phase de mon existence. J’avais sur les bras une grande maison et quelque mobilier de reste ; mais je ne pouvais pas plus y subvenir à mes besoins et à ceux d’Amy, que lorsque j’y étais avec mes cinq enfants. Je n’avais rien pour vivre que ce que je pouvais gagner par mon travail, et ce n’était pas une ville où il fût possible de se procurer beaucoup d’ouvrage.

Mon propriétaire avait été véritablement très bon après avoir appris la position où j’étais, bien qu’avant d’avoir été informé de ces circonstances, il fût allé jusqu’à saisir mes effets et même jusqu’à m’en enlever quelques-uns.

Mais, depuis, il y avait trois trimestres que j’habitais sa maison et que je ne lui payais pas de loyer, et, ce qui était pire, je n’étais pas en position de lui en payer aucun. Cependant, je remarquais qu’il venait me voir plus souvent, qu’il se montrait de plus en plus bienveillant à mon égard, et qu’il me parlait plus amicalement qu’il n’avait l’habitude de le faire. Plus particulièrement, les deux ou trois dernières fois qu’il était venu, il avait remarqué, avait-il dit, comme je vivais pauvrement, combien bas j’étais réduite, et autres choses semblables.