Il disait tout : l’amour, la gloire et la mort. Amusement pour tempéraments modernes qui aimaient la vitesse, la synthèse et le suffrage populaire.

Car le « slogan » est créateur. Mais il peut, mal dirigé, conduire les foules, qui le psalmodient parfois sur quelque musique, à des erreurs capitales et à un psittacisme truffé de conséquences. D’autant plus que le peuple ne va jamais y voir, et qu’il confond tout dans le même prurit de publicité mélodieuse…

MATINÉE

C’était un dimanche et je me trouvais seul. Pour la première fois depuis longtemps je ne savais trop que faire de ma journée. Aucun tribut à payer à la famille ou à l’amitié, nulle invitation à dîner. Je me sentais libre, étrangement libre…

Qu’allais-je faire de ces quelques heures de vacances mélancoliques ?

J’eus un moment l’idée de m’en aller, à pied naturellement, du côté de la gare de l’Est, vers ce quartier où plus d’une maison semble m’attendre avec un regard familier qui me serre la gorge. J’y revivrais à chaque pas, à chaque image, à chaque souvenir, comme il m’en prend l’envie de plus en plus souvent, mon enfance et ma jeunesse, et j’en reviendrais retrempé de tristesse. Ce serait à la fois très doux et très amer. Mais j’hésitais, et j’y renonçai. Nous avons, sans les chercher, assez de sujets de mélancolie.

À Montparnasse ? Mais je m’y heurterais à tant d’autres fantômes…

À Saint-Germain-des-Prés ? C’est mon village d’adoption, c’est presque ma vie de tous les jours. Et je ressentais le besoin de passer tout à fait inaperçu.

J’avais déjà, de flottements en flottements, dilapidé une bonne partie de mon loisir, quand me vint tout à coup l’idée que j’attendais. Je regardai ma montre, j’allumai une cigarette, comme il est dit dans les romans écrits aux environs de 1889, et je constatai que j’avais juste le temps de mettre en forme mon projet.

J’allai décrocher dans ma penderie un petit costume assez sombre, débaucher certaine paire de bottines à bouton, quelque chemise blanche, un col dur, un mouchoir de retraité, une régate foncée, mon vieux chapeau rond. J’étais couvert ainsi en bourgeois paisible, en petit-bourgeois parisien, fermement décidé à profiter, décemment, noblement, de sa bonne ville. J’allai jusqu’à me ganter et descendis.

Les trottoirs étaient suffisamment équilibrés de promeneurs, de voitures d’enfants et de braves chiens qui suivaient, buvant en haletant des goulées de soleil. Je m’arrêtais naturellement aux vitrines, et, tout en prenant mon chemin, je m’efforçais de clicher au passage, pour les revoir en fermant les yeux, mille instantanés ravissants, vingt Atalantes au talon d’acier qui s’escrimaient à bicyclette.

Ce fut ainsi que j’arrivai sur la petite place illimitée, si délicieusement provinciale le dimanche, où Musset a l’air d’un amant pompette que sa maîtresse essaie vainement de ramener à la maison. Je regardai donc l’affiche du Français. Par bonheur, ce n’était que Molière, encore. Je me mis sagement à mon rang, dans la file… Un quart d’heure après, l’Excellence du guichet me remettait mon billet de fauteuil, moyennant un tribut bien modique après tout si on le compare au prix où sont les cigarettes…

J’ai passé au Français, dans la lumière franche de Molière, dans « Cette mâle gaîté si triste et si profonde -Que lorsqu’on vient d’en rire on devrait en pleurer », un après-midi comme hors du temps, les yeux dans les yeux d’une France toujours vivante et pas même humiliée. Chaque vers, mis en suprême valeur par Chauveron, par Dussane et par Catherine Fonteney, par Pierre Bertin, Denis d’Inès, Escande et Chambreuil – oh les braves gens, aussi intelligents que sensibles ! – chaque vers désaltérait mon cœur, m’emplissait de cette fierté sans griefs sur laquelle est fondé le sentiment de la patrie. Je me sentais profondément Français, Parisien, cocardier presque. Je relevais la tête. J’étais chez moi. J’entendais avec ravissement ma meilleure langue natale. Je buvais à longs traits l’élixir du génie de mon pays rieur et grave. C’était comme si je revenais d’exil…

FLÂNERIE

Tout nous divise, certes. Les opinions, les humeurs et le costume, les lignes de la main, les nuages, les conceptions, les régimes et les polices. Un seul miracle peut effacer les différences et grouper les hommes dans un sentiment : l’Art et ses dérivés, l’Art et ses matières, l’Art et son apaisement.

Paris commence à s’y retrouver. On va dans les expositions, au théâtre, au concert. Jamais les conférences n’ont connu plus de vogue. Et le printemps de chez nous, par le chapeau et le soulier des femmes, par l’arbre qui pointe gentiment ses bouts de seins de sirène aux yeux ravis de la lumière fine et tendre de toujours ; par le vin nouveau du soleil sur la Seine, par le rayon qui pense de l’or sur les dômes, dans les églises, au travers « du million de bienheureux coloriant le soleil », comme dit Valéry –, sur le pavé plus doucement nuancé, dans le mouvement réveillé des gares, le printemps incline à la flânerie le piéton impénitent qu’il me souvient d’avoir été, naguère, entre deux courses en tari, du temps que la marche à pied n’était pas encore devenue, pour qui redoute le coup d’archet terrible du métro ou le tournis de l’autobus, plus obligatoire que l’instruction publique.

Donc, je me promène, et, naturellement, je rêve en me promenant. Si Paris, le soir, s’enroule de deuil, il rayonne le jour comme si l’enfantement de l’Histoire ne lui travaillait pas, à lui aussi, les tripes.