Docile, Lassie se leva. Puis l’homme, l’enfant et le chien quittèrent la maison.

*

« Grand-père, dit Priscilla, les animaux peuvent-ils entendre des choses que nous n’entendons pas ?

— Naturellement, hurla le duc. Prends un chien ! il entend cinq fois mieux qu’un homme. Un sifflet silencieux, par exemple. En réalité, ce sifflet émet des sons à haute fréquence, mais aucun être humain ne peut les percevoir. Les chiens les entendent cependant, et ils accourent à toute allure, parce que… »

Priscilla vit son grand-père sursauter, puis agiter sa canne d’épine d’une façon menaçante en descendant l’escalier.

« Carraclough ! que faites-vous avec mon chien ? »

Priscilla aperçut au bout de l’allée un grand villageois et, à son côté, un petit garçon robuste dont la main était appuyée légèrement sur la crinière d’un colley. Elle entendit le chien grogner comme pour protester devant l’arrivée menaçante du vieillard ; l’enfant apaisa le chien à voix basse. À la suite de son grand-père, Priscilla partit à la rencontre de ces inconnus.

En la voyant arriver, Sam Carraclough leva son chapeau et fit signe à son fils d’en faire autant.

« C’est Lassie, dit Carraclough.

— Naturellement, hurla le duc. N’importe quel imbécile peut s’en rendre compte. Que faites-vous avec elle ?

— Elle s’est encore échappée et je vous la ramène.

— Encore ? Elle s’est donc déjà échappée ? »

Sam Carraclough resta muet. Comme presque tous les gens du village, il avait l’esprit très lent. Les derniers mots du duc laissaient supposer que Hynes avait passé sous silence la première évasion de Lassie. Si Sam répondait à la question, il « moucharderait », en quelque sorte. Certes, il détestait Hynes, mais de là à lui faire perdre sa place, il y avait un pas que son esprit d’honnête homme ne pouvait franchir.

Il résolut le problème comme tout homme du Yorkshire l’aurait fait ; ignorant la question, il répéta, l’air buté :

« Je la ramène… c’est tout. »

Le duc lui lança un regard menaçant. Puis il se mit à crier encore plus fort.

« Hynes ! Hynes ! Pourquoi cet individu se sauve-t-il et se cache-t-il chaque fois que j’ai besoin de lui ? Hynes ?

— J’arrive, monsieur. J’arrive », répondit la voix nasillarde.

Bientôt Hynes surgit de derrière les massifs d’arbustes qui bordaient les chenils.

« Hynes, cette chienne s’est-elle déjà échappée ? »

Hynes se tortilla d’un air gêné.

« Eh bien, monsieur, il se trouve…

— S’est-elle échappée, oui ou non ?

— En quelque sorte, oui, monsieur… je ne voulais pas déranger Votre Grâce pour si peu, dit Hynes en tortillant nerveusement sa casquette. Mais je m’arrangerai pour qu’elle ne recommence plus. Je ne peux pas comprendre comment elle s’y est prise. J’ai mis du treillis dans tous les coins où elle a creusé, et je veillerai…

— Vous ferez bien, s’écria le duc. Pauvre imbécile ! Oui, c’est bien ça ! Je commence à croire que vous êtes un parfait imbécile, Hynes ! Enfermez-la. Et si elle s’échappe encore, je… je… »

Le duc n’acheva pas d’expliquer quels sombres plans il méditait, mais partit en clopinant, de fort méchante humeur, sans même dire merci à Sam Carraclough.

Priscilla se rendit compte de l’impolitesse de son grand-père, car, au lieu de le suivre, elle s’arrêta, et, immobile, contempla la scène que le duc avait laissée derrière lui. Hynes s’agitait d’un air courroucé.

« Je vais l’enfermer, marmonna-t-il. Et si jamais elle se sauve encore, je… »

Il ne put achever sa phrase ; comme il faisait un geste pour empoigner la crinière de Lassie, le lourd soulier ferré de Sam Carraclough lui écrasa le pied et le cloua sur place. Sam parla lentement.

« J’ai amené mon fils, dit-il. Il va enfermer Lassie et lui ordonner de rester. Peut-être lui obéira-t-elle : c’est pour lui qu’elle revient à la maison. »

Et Sam ajouta, s’efforçant de donner un ton négligent à sa grosse voix du Yorkshire :

« Oh ! je ne voyais pas que je vous marchais sur le pied.

« Allons, Joe, mon petit !… Ouvrez le chenil, Hynes, et nous allons la faire rentrer. »

Priscilla, immobile près des vieux sapins, vit la chienne sortir de la niche et venir dans l’enclos. Lorsque le petit garçon s’approcha de la clôture, Lassie leva la tête et s’avança vers lui. Pendant un long moment, l’enfant resta là, touchant à travers les mailles du treillis le nez froid du chien. Sam rompit le silence.

« Voyons, Joe. Finissons-en.