Ce n’est pas la peine de lambiner. Dis-lui de rester, dis-lui que nous ne pouvons plus la garder. »
Priscilla vit le petit garçon, debout près du chenil, regarder son père, puis jeter un coup d’œil circulaire comme pour chercher de l’aide. Mais personne ne venait au secours de Joe. Alors, il avala sa salive et commença à parler lentement à voix basse ; puis les mots se précipitèrent de plus en plus vite à mesure qu’il parlait.
« Reste là, et sois heureuse, Lassie, murmura Joe d’une voix à peine perceptible. Et ne reviens plus jamais chez nous. Ne t’échappe plus, ne viens plus m’attendre à l’école. Reste ici et laisse-nous, car tu ne nous appartiens plus, et nous ne voulons plus jamais te voir, jamais. Parce que tu es un vilain chien, nous ne t’aimons plus et nous ne voulons plus te voir. Ne nous importune plus, ne reviens plus, reste toujours ici, laisse-nous tranquilles. Et ne reviens plus jamais à la maison ! »
Lassie sembla comprendre : elle gagna le coin le plus retiré du chenil et se coucha. L’enfant, comme fou, se retourna et partit ; il ne distinguait plus son chemin et trébucha. Mais Sam, qui marchait près de lui, la tête haute, le regard fixe, attrapa son fils par l’épaule, le secoua et lui dit d’un ton dur :
« Regarde donc où tu marches ! »
Sam Carraclough allait d’un pas rapide. Joe courait à son côté et se demandait pourquoi les grandes personnes ont le cœur si dur au moment précis où un peu de douceur ferait tant de bien. L’enfant, perdu dans ses pensées, ne comprenait pas que son père fuyait les aboiements d’un colley qui suppliait son maître de ne pas l’abandonner.
Joe n’était pas seul à se poser des questions ; bien des choses aussi paraissaient obscures à Priscilla. Elle s’approcha de l’enclos. Le colley, les yeux fixés sur le sentier où il avait vu disparaître son maître, dressait la tête pour lancer son appel.
Priscilla regardait le chien, lorsque Hynes arriva devant le chenil. Elle appela :
« Hynes !
— Miss Priscilla ?
— Pourquoi ce chien est-il revenu chez ces gens ? N’est-il pas heureux ici ?
— Pour sûr qu’il est heureux, Miss Priscilla, avec un si beau chenil. Il retourne chez eux parce qu’ils l’ont dressé à le faire. C’est leur façon de procéder ; ils volent les chiens qu’ils ont vendus et les revendent à quelqu’un d’autre avant que vous ayez le temps de dire ouf ! »
Priscilla plissa le nez pour réfléchir.
« Mais s’ils voulaient le voler, pourquoi l’ont-ils ramené ?
— Ne vous cassez donc pas la tête, dit Hynes. On ne peut se fier à aucun des habitants du village. Ils sont toujours prêts à vous jouer quelque tour… mais nous sommes trop malins pour eux. »
Satisfait de sa réponse, Hynes revint vers le chien qui continuait à lancer son cri d’appel.
« Tiens-toi tranquille ! Sale bête ! À la niche ! »
Comme le chien ne semblait pas avoir entendu, Hynes s’approcha et leva la main dans un geste de menace.
Lassie se retourna lentement, et un sourd grondement résonna dans sa poitrine ; elle retroussa les babines et l’on vit briller ses grandes dents blanches. Elle ramena les oreilles en arrière, les poils de son cou se dressèrent. Le grondement s’amplifia.
Hynes s’arrêta et pinça les lèvres.
« Ah ! tu veux faire la méchante ! »
Priscilla passa devant Hynes.
« Attention, Miss Priscilla. Si j’étais vous, je ne m’approcherais pas trop. Elle pourrait bien vous mordre. Et je connais les chiens, croyez-moi. Mais cette belle demoiselle filera doux ; j’en aurai raison, c’est moi qui vous le dis. Reculez-vous, Miss Priscilla », dit Hynes en s’en allant.
Priscilla resta longtemps immobile. Puis elle s’approcha lentement du grillage et passa les doigts au travers pour toucher la tête de Lassie.
« Viens ici, ma belle, dit-elle d’une voix douce. Viens près de moi, je ne te ferai pas de mal.
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