Viens ici ! »

Le grognement cessa, et la chienne se coucha. L’espace d’une seconde, le regard des yeux bruns rencontra celui des yeux bleus de la petite fille. Puis Lassie sembla ignorer Priscilla ; ses yeux ne bougèrent plus, sa tête ne se tourna pas. D’un air triste et noble, elle regardait fixement le point où elle avait vu disparaître Sam Carraclough et son fils.

Chapitre 6
La cachette dans la lande

Le lendemain, Lassie était couchée dans son parc, la tête sur les pattes. Le soleil des premiers jours d’été inondait sa fourrure. Elle regardait le point où, la veille, elle avait vu disparaître Sam Carraclough. Elle dressait les oreilles et les ramenait en avant ; tout son corps était au repos, mais ses sens, en éveil, semblaient prêts à enregistrer tout ce qu’elle aurait pu voir, entendre, ou sentir qui pût indiquer le retour de ses maîtres.

Mais la journée était calme. On n’entendait que le bourdonnement des premières abeilles ; on ne sentait que l’odeur de la terre humide.

L’après-midi s’avançait, et Lassie commença à s’agiter. Elle éprouvait une sensation indistincte, indéfinissable, dont elle avait à peine conscience, comme un homme encore assoupi perçoit dans un demi-sommeil la sonnerie d’un réveil.

Lassie dressa brusquement la tête et renifla la brise. Mais l’agitation vague qu’elle ressentait ne se calma pas.

La chienne se leva, marcha lentement vers sa niche et s’étendit à l’ombre. Ce changement ne lui apporta aucun soulagement. Elle revint au soleil ; ce n’était pas encore la solution. L’étrange impulsion qui la troublait devenait de plus en plus pressante. Lassie se mit à longer le grillage solide ; une force inconnue semblait la pousser à faire et à refaire le tour de sa cage. Enfin, elle s’arrêta dans un coin et, de la patte, gratta le treillis.

Comme à un signal, elle comprit alors le désir qui l’animait : c’était l’heure, l’heure d’aller chercher le petit garçon !

Cette pensée ne se présentait pas clairement dans l’esprit de Lassie, c’était plutôt une sensation aveugle qui s’emparait d’elle entièrement, chassant tout autre sentiment, occupant toute son attention. Elle savait que c’était l’heure d’aller à l’école comme elle l’avait fait chaque jour depuis tant d’années.

Lassie gratta vigoureusement le treillis, sans résultat appréciable. Pourtant, hier, elle s’en souvenait, elle avait déchiré le fil de fer, creusé la terre, et, grâce aux efforts de son cou puissant et des muscles de son arrière-train, elle avait soulevé la clôture.

Mais Hynes avait coupé cette voie d’évasion. Il avait renforcé le grillage avec du treillis encore plus solide et enfoncé dans le sol des pieux résistants. Lassie s’acharnait en vain. Cette impuissance ne fit que redoubler son énergie ; le temps passait, il fallait agir vite. Lassie se mit à courir dans son parc, à gratter fébrilement aux endroits qu’elle supposait plus favorables à la fuite. Hynes avait tout consolidé.

Levant la tête, la chienne manifesta sa colère et sa déception par une série d’aboiements furieux. Puis elle se dressa sur les pattes de derrière et s’appuya contre la clôture, dans l’espoir de trouver une autre issue. Elle regarda le haut du treillis. Si l’on ne peut passer sous un obstacle, pourquoi ne pas essayer de passer par-dessus ?

Les chiens, même les plus intelligents, ne se livrent pas à des raisonnements logiques pour trouver des solutions de ce genre : ils y arrivent lentement, aiguillés par un instinct vague, aidés par l’expérience acquise durant leur courte existence.

Aussi la nouvelle idée pénétra dans l’esprit de Lassie sous une forme imprécise avant de devenir de plus en plus nette. La chienne sauta et retomba. La clôture avait deux mètres de haut ; elle était trop haute pour qu’un colley pût la franchir, alors qu’un lévrier l’aurait sautée facilement.

Son entreprise semblait irréalisable. Pourtant, avec le courage et la persévérance d’un brave animal, elle recommença en différents points sans se décourager, espérant trouver un endroit plus accessible.

Et voilà qu’à l’angle de la clôture, ses pattes de derrière purent s’agripper un instant aux mailles du treillis. Alors, elle bondit de nouveau, et, dans un élan d’énergie désespéré, réussit à s’élever à la façon d’un homme qui monte une échelle. Elle arriva tout près du sommet, mais elle retomba encore.

Lassie eut vite compris la leçon.