Il a assez de soucis comme cela… et… voilà. Elle est partie. »
Le jeune Joe Carraclough se tenait près de sa mère dans la maisonnette. Il comprenait bien. Même un garçon de douze ans savait, à Greenall Bridge, ce qu’était la crise.
Depuis des années, et du plus loin que les enfants pouvaient se rappeler, leurs pères avaient travaillé à la mine Wellington, au-delà du village. Ils étaient partis avec une équipe, et ils étaient rentrés, portant leur musette et leur lanterne de mineur. Ils avaient travaillé à extraire le précieux charbon. Puis la crise était arrivée. La mine fonctionnait au ralenti ; les ouvriers gagnaient moins. Parfois le travail reprenait, et les hommes faisaient des journées complètes.
Alors, tout le monde était heureux. Ce n’était pas une vie de luxe, car les habitants des villages miniers menaient une existence dure, même dans les meilleures périodes. Mais c’était une vie de courage et d’union familiale ; et si la nourriture qu’on servait sur la table était simple, il y en avait pour tous.
Or, quelques mois auparavant, on avait dû fermer la mine. La grosse poulie qui surmontait l’arbre de transmission ne tournait plus. Des flots d’hommes ne circulaient plus dans les rues au moment du changement d’équipe. Les mineurs s’inscrivaient maintenant à la Bourse du travail. Ils stationnaient au coin de la Bourse, attendant, mais en vain. Greenall Bridge faisait partie, semblait-il, de ce que les journaux appelaient « les régions frappées par la crise », de ces parties du pays où toute industrie était morte. Des villages entiers étaient sans travail. Il n’y avait plus moyen de gagner sa vie. Le gouvernement donnait aux mineurs une indemnité de chômage, une petite somme d’argent chaque semaine, à peine suffisante pour leur permettre de ne pas mourir de faim.
Joe ne pouvait ignorer cet état de choses. Il avait entendu les conversations. Il avait vu les hommes près de la Bourse du travail. Il savait que son père ne travaillait plus depuis longtemps. Il savait aussi que ses parents évitaient de parler devant lui de leurs difficultés quotidiennes, et que, dans leur bonté rude, ils avaient fait l’impossible pour supporter seuls le fardeau de la vie.
L’esprit de l’enfant lui disait tout cela, mais son cœur pleurait encore Lassie ; Joe lui imposa silence, et, impassible, posa une question :
« Maman, ne pourrions-nous pas la racheter un jour ?
— Écoute, Joe, elle valait très cher ; et elle coûte trop cher pour nous. Mais, un jour, nous aurons un autre chien. Patiente un peu. Les affaires peuvent s’arranger, et nous prendrons un jeune chien. Qu’en dirais-tu ? »
Joe Carraclough inclina la tête et la balança lentement. Sa voix ne fut qu’un murmure :
« Je n’aurai jamais d’autre chien. Jamais ! Je ne veux que… Lassie ! »
Chapitre 3
Un homme acariâtre
Debout près d’une haie de rhododendrons, le duc de Rudling lançait autour de lui des regards furieux. Il s’écria d’une voix de stentor :
« Hynes ! Hynes ! Où est-il donc passé ? Hynes ! »
Le visage écarlate, les cheveux blancs en bataille, le duc, en cet instant, ne faisait point mentir sa réputation : il possédait, disait-on, le caractère le plus détestable de tout le Yorkshire.
Méritait-il cette réputation ? En tout cas, ses paroles et ses actions le laissaient croire.
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