Et je pourrais leur en apprendre quelques autres par-dessus le marché, je vous le garantis.
« Non, c’est un chien parfait. D’ailleurs, je l’ai acheté à… comment s’appelle-t-il ? Carraclough. Je le connais trop bien. Il n’oserait pas me jouer un tour pareil, j’en suis sûr. »
Et le duc fit tourner sa grande canne d’épine, comme pour défier tous ceux qui auraient eu le front d’essayer de le rouler. Le vieillard et sa petite-fille prirent le chemin des chenils, et s’arrêtèrent devant le treillis qui emprisonnait Lassie.
Priscilla aperçut un grand colley noir, blanc et feu, couché, le museau appuyé sur les pattes de devant. Le noir délicat de sa tête aristocratique contrastait avec la blancheur de sa collerette et de son poitrail.
Le duc fit claquer la langue pour attirer l’attention du chien. Lassie ne broncha pas ; seul un léger tressaillement de son oreille montra qu’elle avait entendu. Elle resta couchée, sans tourner les yeux.
Priscilla se pencha en avant, frappa des mains et s’écria :
« Viens donc, mon gros, viens ici, viens me voir ! »
Les grands yeux du colley, des yeux bruns, pleins de mélancolie, se tournèrent vers la petite fille, l’espace d’une seconde ; puis ils perdirent toute expression et regardèrent dans le vide.
Priscilla se releva.
« Elle n’a pas bon aspect, grand-père.
— Sottises ! hurla le duc. Elle va très bien. Hynes ! Hynes ! Où se cache-t-il celui-là ? Hynes !
— J’arrive, monsieur. J’arrive. »
La voix aiguë et nasillarde du gardien de chenil s’éleva derrière les bâtiments, et Hynes s’avança, l’air empressé.
« Oui, monsieur ! Vous m’avez appelé, monsieur ?
— Naturellement, naturellement. Êtes-vous sourd ? Hynes, qu’a donc cette chienne ? Elle n’a pas bon aspect.
— Eh bien, monsieur, se hâta d’expliquer le gardien de chenil, elle ne mange pas bien. Elle a été gâtée ; tous ces ouvriers pourrissent leurs chiens. Ils leur servent des ortolans sur un plat d’argent, pour ainsi dire. Mais je veillerai à lui faire passer cette habitude. Elle s’accoutumera à la nourriture du chenil dans quelques jours, monsieur.
— Veillez bien sur elle, Hynes, cria le duc. Veillez bien sur cette chienne.
— Oui, monsieur, certainement, monsieur, répondit docilement Hynes.
— Vous ferez bien. »
Et le duc partit en bougonnant. Il était déçu en quelque sorte. Il avait voulu montrer sa nouvelle acquisition exceptionnelle, et Priscilla n’avait vu qu’un chien plein de mépris.
Le duc entendit parler sa petite-fille.
« Qu’avez-vous dit ? »
Priscilla leva la tête.
« J’ai dit : pourquoi cet homme vous a-t-il vendu son chien ? »
Le duc s’arrêta un moment et se gratta la tête.
« Eh bien, il s’est rendu compte, sans doute, que c’était mon dernier prix. Je lui avais dit que je ne lui donnerais pas un penny de plus, et il a dû finir par comprendre que j’étais bien décidé, voilà tout. »
Tandis que Priscilla et son grand-père reprenaient ensemble le chemin du vieux manoir, Hynes, le gardien de chenil, se retourna vers le chien.
« Tu mangeras, je te le promets. Tu mangeras, même s’il faut te faire avaler de force. »
Lassie ne fit aucun mouvement. Elle se contenta de fermer les yeux, feignant d’ignorer l’homme qui se trouvait de l’autre côté du grillage.
Après le départ de Hynes, Lassie resta couchée, immobile, au soleil, jusqu’à ce que les ombres se fussent allongées sur le sol. Alors elle se leva, l’air inquiet, et dressa la tête pour humer la brise. Mais elle n’y trouva pas ce qu’elle cherchait ; elle poussa un gémissement doux et se mit à arpenter son enclos, dans un sens, puis dans l’autre, sans repos.
Les chiens ne savent pas penser comme les hommes ; ils n’ont pas d’idées bien définies, pouvant se traduire par des mots. Lassie ressentait, dans son esprit et dans son corps, un désir qui, après avoir été une sensation vague, devenait de plus en plus fort, de plus en plus net. L’instinct de l’heure faisait agir son cerveau et ses muscles.
Tout à coup, Lassie sut ce qu’elle voulait. Oui, maintenant, elle savait.
Chapitre 4
Lassie rentre chez ses maîtres
Lorsque Joe Carraclough sortit de classe et franchit la porte de l’école, il ne put en croire ses yeux. Il resta immobile, puis s’écria d’une voix aiguë : « Lassie, Lassie ! »
Joe se précipita vers sa chienne, et, dans un élan de joie frénétique, s’agenouilla près d’elle, enfonçant les doigts dans son poil épais. Il se cacha le visage dans la crinière de l’animal et lui caressa les flancs.
Puis il se releva et, dans son délire, se mit presque à danser. Il y avait un contraste étrange entre l’attitude de l’enfant et celle de la chienne.
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