Joe semblait fou de bonheur, tandis que Lassie restait assise calmement ; seule, sa queue, terminée par une touffe de poils blancs, s’agitait, révélant sa joie de revoir le petit garçon.
Lassie semblait dire :
« Pourquoi tant d’affaires ! Je dois me trouver là, j’y suis. Qu’y a-t-il de si extraordinaire ? »
« Viens, Lassie », dit l’enfant.
Il fit demi-tour et descendit la rue en courant. Sur le moment, il ne chercha pas à découvrir la raison de la présence du colley. Il essaya, au contraire, de chasser son étonnement.
Pourquoi se tourmenter ? Le miracle s’était produit, voilà tout. Peut-être papa avait-il racheté la chienne, se disait l’enfant pour calmer ses inquiétudes.
Joe descendit la Grand-Rue en courant, et Lassie semblait, maintenant, avoir été gagnée par l’enthousiasme du petit garçon. Elle bondissait à ses côtés en poussant cet aboiement aigu et étranglé par lequel les chiens manifestent leur joie. Elle ouvrait largement la gueule – c’est la façon dont un colley montre sa satisfaction, et l’on jurerait que ces chiens rient lorsqu’ils sont contents.
Ce ne fut qu’après avoir passé devant la Bourse du travail que Joe ralentit. Il entendit alors un des hommes s’écrier :
« Hé ! petiot, où donc as-tu trouvé ta chienne ? »
Ces paroles étaient prononcées avec un accent du Yorkshire très marqué, et Joe répondit de même. En effet, si les enfants parlaient en classe un anglais pur, ils considéraient comme une marque de politesse de s’adresser aux adultes en prenant le même accent qu’eux.
« Près de la porte de l’école », cria Joe.
Joe comprit alors ce qui s’était passé. Son père n’avait pas racheté le chien, sinon tous les hommes l’auraient su. Dans un petit village comme Greenall Bridge, les nouvelles se répandent vite ; et l’on aurait eu connaissance d’un fait aussi important que le rachat de Lassie.
Lassie s’était échappée ! Voilà la vérité.
Joe cessa de courir, toute sa joie évanouie. Il se mit à marcher à pas lents, et, plein d’inquiétude, prit la ruelle à flanc de coteau qui conduisait chez lui. Arrivé à la porte, il se retourna.
« Reste derrière, Lassie », dit-il tristement.
Le front plissé par ses réflexions, Joe s’arrêta un instant. Il s’efforça de dissimuler ses sentiments sous un masque d’indifférence, ouvrit la porte et entra.
« Maman, dit-il, je te réserve une surprise. »
Le petit garçon tendit la main comme si ce geste pouvait l’aider à obtenir ce qu’il désirait par-dessus tout.
« Lassie est revenue », dit-il.
Mme Carraclough ouvrit de grands yeux. Sam, assis près du feu, leva la tête. Le mari et la femme regardèrent le chien qui suivait docilement le petit garçon, mais ils ne prononcèrent pas une parole.
Le colley sembla comprendre ce silence : il s’arrêta un instant, puis avança, tête basse, tel un chien qui se sent coupable d’une faute inconnue, vers le tapis qui se trouvait devant le feu. Il remua la queue comme pour dire : « J’ai péché gravement, mais pardonnez-moi. »
Hélas ! personne ne semblait disposé à lui pardonner : l’homme détourna tout à coup les yeux et regarda fixement le feu.
Lassie se replia lentement sur elle-même et se coucha sur le tapis de façon à toucher le pied de son maître. Sam retira son pied. Alors Lassie resta immobile, la tête sur la patte, à contempler le brasier, comme si elle cherchait dans la flamme dorée la solution de leurs tourments.
Ce fut la femme qui réagit la première. Elle mit les poings sur les hanches et poussa un soupir long et bruyant qui traduisait son exaspération. Joe regarda sa mère et, rassemblant tout son courage, fit un suprême effort pour attendrir ses parents.
« Je sortais de l’école, dit-il d’une voix animée, et elle était là, à l’endroit où elle se trouve toujours ; près de la porte, elle m’attendait. Et vous n’avez jamais vu quelqu’un d’aussi heureux. Elle agitait la queue. Elle était contente de me revoir. »
Joe parlait, parlait, espérant sans doute que tout ce verbiage empêcherait son père et sa mère de prononcer le verdict de condamnation.
« J’ai bien vu qu’elle avait un violent désir de nous revoir, de nous revoir tous. Aussi, j’ai pensé que je pouvais la ramener et que nous pourrions… »
Mme Carraclough interrompit son fils d’une voix forte : « Non ! »
C’était le premier mot prononcé par les parents de Joe. Le petit garçon resta interdit un instant, puis ses paroles se précipitèrent en foule ; il luttait pour obtenir ce qu’il voulait, et il n’osait même pas espérer.
« Mais elle est revenue, maman. Nous pourrions la cacher. On n’en saurait rien : Nous dirions que nous ne l’avons pas vue, et alors…
— Non ! » répéta la mère d’un ton impitoyable.
Elle se détourna d’un air courroucé et continua à mettre la table. Une fois de plus, comme les femmes du village, elle cherchait à soulager son cœur en proférant des paroles dures et violentes.
« Ces chiens ! Ces chiens ! s’écria-t-elle. J’en ai par-dessus la tête.
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