Le marquis se fit lire deux fois cette longue lettre et se frotta les mains en entendant le récit du dîner donné par la vidame de Pamiers, une vieille connaissance à lui, et de la présentation de son fils à la duchesse ; mais il se perdit en conjectures sans pouvoir comprendre la présence du fils cadet d’un juge, du sieur Blondet, qui avait été Accusateur Public pendant la Révolution. Il y eut fête ce soir-là dans le Cabinet des Antiques : on s’y entretint des succès du jeune comte. On fut si discret sur madame de Maufrigneuse que le Chevalier fut le seul homme à qui l’on se confia. Cette lettre était sans post-scriptum financier, sans la conclusion désagréable relative au nerf de la guerre que tout jeune homme ajoute en pareil cas. Mademoiselle Armande communiqua la lettre à Chesnel. Chesnel fut heureux sans élever la moindre objection. Il était clair, comme le disaient le Chevalier et le marquis, qu’un jeune homme aimé par la duchesse de Maufrigneuse allait être un des héros de la Cour, où, comme autrefois, on parvenait à tout par les femmes. Le jeune comte n’avait pas mal choisi. Les douairières racontèrent toutes les histoires galantes des Maufrigneuse depuis Louis XIII jusqu’à Louis XVI, elles firent grâce des règnes antérieurs ; enfin elles furent enchantées. On loua beaucoup madame de Maufrigneuse de s’intéresser à Victurnien. Le cénacle du Cabinet des Antiques eût été digne d’être écouté par un auteur dramatique qui aurait voulu faire de la vraie comédie. Victurnien reçut des lettres charmantes de son père, de sa tante, du Chevalier qui se rappelait au souvenir du vidame, avec lequel il était allé à Spa, lors du voyage que fit, en 1778, une célèbre princesse hongroise. Chesnel écrivit aussi. Dans toutes les pages éclatait l’adulation à laquelle on avait habitué ce malheureux enfant. Mademoiselle Armande semblait être de moitié dans les plaisirs de madame de Maufrigneuse. Heureux de l’approbation de sa famille, le jeune comte entra vigoureusement dans le sentier périlleux et coûteux du dandysme. Il eut cinq chevaux, il fut modéré : de Marsay en avait quatorze. Il rendit au vidame, à de Marsay, à Rastignac, et même à Blondet le dîner reçu. Ce dîner coûta cinq cents francs. Le provincial fut fêté par ces messieurs, sur la même échelle, grandement. Il joua beaucoup, et malheureusement, au whist, le jeu à la mode. Il organisa son oisiveté de manière à être occupé. Victurnien alla tous les matins de midi à trois heures chez la duchesse ; de là, il la retrouvait au bois de Boulogne, lui à cheval, elle en voiture. Si ces deux charmants partenaires faisaient quelques parties à cheval, elles avaient lieu par de belles matinées. Dans la soirée, le monde, les bals, les fêtes, les spectacles se partageaient les heures du jeune comte. Victurnien brillait partout car partout il jetait les perles de son esprit, il jugeait par des mots profonds les hommes, les choses, les événements : vous eussiez dit d’un arbre à fruit qui ne donnait que des fleurs. Il mena cette lassante vie où l’on dissipe plus d’âme encore peut-être que d’argent, où s’enterrent les plus beaux talents, où meurent les plus incorruptibles probités, où s’amollissent les volontés les mieux trempées. La duchesse, cette créature si blanche, si frêle, si ange, se plaisait à la vie dissipée des garçons : elle aimait à voir les premières représentations, elle aimait le drôle, l’imprévu. Elle ne connaissait pas le cabaret : d’Esgrignon lui arrangea une charmante partie au Rocher de Cancale avec la société des aimables roués qu’elle pratiquait en les moralisant, et qui fut d’une gaieté, d’un spirituel, d’un amusant égal au prix du souper. Cette partie en amena d’autres.
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