Mais non ! pourquoi vous moquer du marquis ! il est charmant ! Je vous assure que je le trouve charmant. Oui aussi pour le Lautrec ! dites au marquis puisque cette bagatelle lui plaît tant, que je me ferai un plaisir de la lui offrir.

Je demeure à vos pieds, belle marquise,

Votre fidèle et un peu jaloux,

Lucien Perette.

Conseils d’une mère à sa fille

Première lettre


Ma chère Fille,


Les Riminy-Patience de Lyon n’ont rien à voir, Dieu merci, avec les Riminy-Verglas de Nice, que je sache. C’est comme les Bastide (Coopérative Vinicole de Toulon) avec tes Bastide (Bazar de Marseille). Tu ne comprends donc rien à mes lettres, Germaine ? c’est bien la peine que je t’écrive si longuement. Je t’ai répété mille fois que les Bastide de Toulon sont la famille des Bastide Huiles de Grasse fort honorablement connus dans la région et qui ont deux autos, tandis que Mme Bastide de Marseille est une petite puante que je n’ai jamais pu digérer, une Verdilhan d’Alger. Vraiment, ma chérie, tu ferais perdre patience à un ange ! Est-ce que ton mari a la mémoire aussi courte que la tienne ? Non ! Jules est un homme sérieux et positif : il faut dire ce qui est vrai.

Mais je ne t’engage pas à fréquenter les Bastide de Toulon : tiens-toi à carreau. Ces gens ont un fils aux Aliénés et on ne sait jamais ! Tous les médecins sérieux te le diront, on ne devient pas aliéné tout seul et la famille y participe toujours plus ou moins, il faut qu’il y ait des antécédents, quelque chose, enfin ! Moi, je ne sais pas, j’ai toujours peur que Mme Bastide de Toulon me saute aux yeux un jour ou se mette à déraisonner. En tout cas, quand elle est venue me voir, toutes les fois je me tenais sur la défensive. J’avais à ma portée un objet contondant et une carafe pour m’en servir en cas d’attaque et j’examinais tout ce qu’elle disait pour prévoir.

Les Bastide-Bazar de Marseille ont un fils bossu. Mme Bastide-Bazar est une petite puante, mais il n’y a pas de comparaison à faire entre un fils aliéné et un fils bossu. On n’est obligé de fréquenter ni les uns ni les autres, mais il paraît que les bossus sont très amusants en société. Je ne sais pas si tu te rappelles les Basset-Matador, des amis de ton père qui lui faisaient boire de l’absinthe. Toujours est-il qu’il y avait au-dessus de la cheminée de leur salon un grand chromo qui t’intriguait beaucoup quand tu étais petite. Cela représentait un roi, un roi de France quelconque, un Henri II ou III ou IV, tu sais que j’ai toujours été, Dieu merci, brouillée avec les chiffres : une femme qui se pique d’élégance n’a pas besoin d’en savoir aussi long que le comptable de son mari. Au fait c’était peut-être Louis XII ou un Philippe… je n’y tiens pas. Ce roi donc tenait un bossu sous la main, un bossu jaune tango, ou vieil or à rayures vert Nil. Tu vois que je me le rappelle bien. Et ce bossu avait un air malin ! mais malin ! Je ne te dis que ça ! C’est tout ce dont je me souvienne, n’étant jamais retournée chez les Basset-Matador depuis la mort de Marie Basset. Mais ceci est pour te dire combien les bossus sont amusants puisque ce roi les recevait. Quant à moi je suis très, très, très superstitieuse bien que je ne me croie pas plus sotte qu’une autre. C’est une faiblesse, je sais que c’est une faiblesse : on est bien heureux de n’avoir que celle-là. On dit que les bossus portent bonheur et j’ai passé ma vie à souhaiter l’occasion de caresser la bosse d’un de ces petits êtres. N’étaient ma bonne éducation, ma haine pour cette petite puante de Clotilde Bastide et le dégoût que m’inspirent les gens qui mettent les doigts dans le nez comme Arsène Bastide, le bossu, je serais capable de les fréquenter rien que pour caresser la bosse porte-bonheur. J’ai toujours pensé que le roi du chromo était aussi superstitieux que moi. N’était-ce pas, ma chérie, l’époque des sorcières genre Catherine de Médicis, de l’affaire des poisons genre Concini et Alexandre Dumas, et de tous ces personnages un peu criminels mais si amusants. Tu vois que je sais mon histoire et on dit que les femmes sont ignorantes ! Dis-moi dans ta prochaine lettre si tu te rappelles le chromo des Basset-Matador. Ce qu’on appelait « fou du roi », n’était probablement pas des aliénés. Entre nous je ne vois pas le fils Bastide de Toulon à la cour des rois de France ; les rois étaient bien trop prudents pour fréquenter de pareils gens : un bossu, passe encore ! en tout cas je ne veux pas de fou chez moi et je ne t’engage pas à fréquenter ces Bastide ni ceux de Toulon ni ceux de Marseille. En résumé, je n’aime pas tous ces Bastide. Mais voilà assez de niaiseries, venons aux choses sérieuses.

Je te parle, ma chère fille, dans ma lettre du 15, des Riminy-Patience, mes amis de Lyon, tu me réponds que tu es en relations ou presque avec les Riminy-Verglas de Nice.