Je ne connais pas les Riminy-Verglas, marchands de bouchons, et je doute fort que les Riminy-Patience qui ont une usine de clous à Lyon et appartiennent par conséquent au haut commerce aristocratique de Lyon tiennent à être de la même famille que d’obscurs marchands de bouchons. Ils ont presque le même nom, soit ! N’y a-t-il pas plusieurs ânes à la foire qui s’appellent Martin ? et quand même il n’y aurait pas à la foire plusieurs ânes s’appelant Martin, quand même ce beau nom de Riminy, qui remonte à la plus haute antiquité puisque tu as joué toi-même sur le piano un opéra qui portait ce nom, je crois, ne serait qu’à une seule famille, est-on obligé de fréquenter tous les membres de sa famille ? Imagine, par exemple, ma chérie, qu’il y ait un ou plusieurs aliénés dans la famille Verglas comme chez les Bastide de Toulon ? Tu vois donc qu’on ne prête jamais trop d’attention à ses fréquentations. Quoi qu’il en soit, ma chérie, je doute que Mme Riminy-Patience, toujours très pointilleuse en matière d’étiquette, entretienne des rapports avec de gros marchands de bouchons de Nice. Je l’approuve ! on ne montre jamais assez patte blanche et on est toujours roulé. Je t’ai reproché toute ta vie ta facilité à te laisser aller avec les premiers Bastide venus, toi, une Gagelin, car enfin, tu es née Gagelin, ne l’oublie pas. Quant aux Riminy-Verglas, puisque j’ai l’honneur d’avoir l’amitié de Mme Riminy-Patience, je lui enverrai mon petit questionnaire et je suis persuadée qu’elle y répondra.

Je t’embrasse ainsi que tes deux fillettes et ton mari,

Veuve Gagelin.


P.-S. — Mignonne, pour ce que tu me dis de ton teint, il n’y a qu’un remède. Applique-toi pour la nuit, tous les soirs, deux escalopes de veau sur les joues. Moi je le fais depuis trente ans et je m’en trouve bien. Ça vaut mieux que toutes les pommades de la terre et c’est plus simple.

Deuxième lettre de la mère
à la fille


Ma Chérie,


Oui, ma chérie, les renseignements sont excellents : les Riminy-Verglas sont des gens très fréquentables et vraiment très bien sous tous les rapports. La dame a un passé un peu douteux et M. Riminy-Verglas a fait une faillite assez mystérieuse, mais s’il fallait y regarder de si près, qui pourrait-on voir ? l’éponge est passée sur ces peccadilles et ils sont reçus partout. Pense un peu, mignonne ! c’est eux qui ont l’entreprise de tout le chêne-liège entre le Lavandou et Saint-Raphaël, ils ont trois autos et de très belles relations sur la côte. Ce ne sont pas des marchands de bouchons ordinaires. Je tiens ces renseignements de Mme Riminy-Patience qui n’est leur parente qu’au trentième degré ; l’ancêtre commun était instituteur à Lons-le-Saulnier vers 1804. J’ai vu cette charmante femme en me rendant à Paris.

Il paraît, d’après elle, qu’une femme élégante ne doit plus se coucher tête nue ; il faut un bonnet de dentelle. « Comment, me dit-elle, en me surprenant au lit, vous couchez tête nue, ça ne se fait plus ! » J’ai donc fait emplette à Paris de bonnets légers et je t’en apporte deux douzaines. J’ai trouvé Paris bien sombre et bien vulgaire. Pas beaucoup d’élégance, même au théâtre. En somme, la taille est toujours vague et les jupes plus étroites en bas qu’en haut avec une tendance au panier surtout pour les robes du soir. Beaucoup de tailleurs et de manteaux (capes ou redingotes) et de-ci de-là quelques robes-manteaux en gabardine, en perlaine et en petit drap vraiment amincissantes. Bien entendu accompagnés, les manteaux, d’un renard ou d’une écharpe de fourrure, cela va de soi, coupe très tailleur presque ajustée à la taille et basques en godets. Tu vois que j’ai bien regardé, ma chérie ! pourquoi aurais-je été à Paris ? Pas de garnitures, mignonne, sauf les abeilles au coin des poches, les coutures soutachées, bordées d’une tresse à cheval ou d’une ganse cirée. J’adore les cols droits montants en fourrure, tu sais, la forme russe ! fermeture de côté avec une olive. On met la même fourrure aux manches et dans le bas ! Oh ! que c’est joli ! on ne peut rien voir de plus seyant, de plus ravissant, de plus distingué, ça fait valoir le teint : c’est magnifique. J’ai rencontré une jeune femme en renard gris avenue du Bois avec son chapeau enfoncé jusqu’au cou, c’était magnifique ! sublime ! décidément, ma chérie, les jupes sont plus longues et c’est dommage ! quand on est un peu forte ou maigre, plus très fraîche, les jupes courtes, ça faisait jeunet. Si tu te fais quelque chose en ce moment, n’oublie pas d’y ajouter une ceinture en jais, un peu lâche, bayadère, c’est tout ce qu’il y a de chic, ou une barre en fourrure, légèrement flottante, odalisque, c’est adorable ! et c’est très important. N’oublie pas non plus que les robes-manteaux s’ouvrent négligemment au moment d’entrer dans un théâtre ou dans un salon. On laisse voir alors un faux gilet broché très fantaisie en soie ou en jersey, mais très vif : tu n’as pas idée quelle surprise exquise. Les chapeaux se font du même tissu que le manteau, fond jockey même pour les femmes de mon âge avec passe de la même fourrure que le manteau. J’ai rapporté à chacun de mes petits-enfants des costumes en gabardine froncés aux hanches.