Le col est en bateau mou très haut avec un seul bouton, les manches sont pagode et le devant est formé de deux revers qui vont d’une manche à l’autre avec un faux bouton, car bien entendu, tout s’agrafe en dessous. C’est très simple : galons de mohair, galon ciré, galon de mohair, galon ciré tout du long. Il faut porter avec cela des molletières à petits boutons et un chapeau à fond jockey avec un ruban rouge ou crème. N’oublie pas, ma chérie, que l’élégance d’une mère de famille se reconnaît à la façon dont ses enfants et ses domestiques sont tenus et qu’on n’habitue jamais trop tôt les fillettes à la coquetterie. Et puis, de quoi a-t-on l’air quand on promène des singes habillés, je te le demande.

Je te plains d’avoir des ennuis de bonnes, ma chérie, mais avoue que c’est un peu de ta faute. Tu te laisses faire comme ton père. Ah ! si je n’avais pas été là du temps de Gagelin !… Plus on laisse de liberté à ces gens-là, plus ils en prennent. Chez Mme Riminy-Patience les bonnes n’ont jamais un seul jour de sortie, sauf le Jour des Morts. Pourquoi toutes ces sorties : est-ce qu’elles ont besoin de sortir… une bonne, voyons ! pour qu’elles prennent le goût des promenades et qu’elles ne veuillent plus travailler ! c’est bien la peine, vraiment ! J’ai admiré la rectitude du service chez ma vieille amie lyonnaise. À une demi-minute près tout est réglé et les domestiques n’ont, Dieu merci, jamais le temps de s’asseoir. À sept heures trois, les souliers doivent être cirés, et il y en a ! ! ! Ma vieille amie examine elle-même chaque soulier et gare s’il y en a un qui cloche, la bonne est à l’amende ou privée d’un plat à son repas. À sept heures seize le premier déjeuner doit être apporté dans la salle à manger. À huit heures trois quarts les lits doivent être faits et à neuf heures et demie la salle à manger doit être brillante comme le pont d’un bateau. Et ainsi de suite jusqu’à onze heures du soir depuis six heures du matin. Eh bien, tu me croiras si tu veux, ses domestiques l’adorent et pas une ne veut la quitter. Il est vrai qu’ils se plaignent un peu d’être mal nourris. Crois-tu Mme Riminy-Patience capable de mal nourrir les domestiques, une femme si comme il faut, non ! ce serait trop cocasse ! la vérité est que ces gens-là sont des goinfres qui ne pensent qu’à manger. Tu trouves ces minutes un peu ridicules. Ma chérie il y a des gens qui ne sont jamais ridicules et mon amie est de celles-là. Ces minutes sont là pour prévenir les domestiques de la nécessité de l’obéissance et de la discipline. Elle a renvoyé la cuisinière parce qu’elle l’a trouvée assise. Qu’en résulte-t-il, ces gens étant tous fatigués n’ont aucune velléité de révolte et, ne sortant pas, ne peuvent chercher d’autres places en ville ou ailleurs. Ils ne voient personne. Quant à moi j’adopterai ce système et je t’engage à en faire autant.

C’est comme pour ton mari ! Mme Riminy-Patience a toujours eu avec le sien une excellente méthode. Dame ! au début de leur ménage, ça n’a pas été tout seul et il a même été question de divorce mais depuis des années il est maté et elle s’en trouve très bien. Elle lui a toujours interdit de fumer. Quand elle trouvait du tabac elle le jetait, quand il entrait en fumant, elle se trouvait mal. Jamais il ne pénétrait dans la maison un ami qui ne lui fût pas sympathique à elle. Quand il sort encore aujourd’hui, il doit lui dire minute par minute ce qu’il a fait ou dit. Il lui est interdit d’aller au café ou au cercle, d’acheter quoi que ce soit sans son ordre ; il y a des livres et des journaux qu’elle ne tolère pas chez elle.