L'efficacité, dans un temps donné,
d'un travail utile dépend de sa force productive. Le travail utile devient donc
une source plus ou moins abondante de produits en raison directe de
l'accroissement ou de la diminution de sa force productive. Par contre, une
variation de cette dernière force n'atteint jamais directement le travail
représenté dans la valeur. Comme la force productive appartient au travail
concret et utile, elle ne saurait plus toucher le travail dès qu'on fait
abstraction de sa forme utile. Quelles que soient les variations de sa force
productive, le même travail, fonctionnant durant le même temps, se fixe
toujours dans la même valeur. Mais il fournit dans un temps déterminé plus de
valeurs d'usage, si sa force productive augmente, moins, si elle diminue. Tout
changement dans la force productive, qui augmente la fécondité du travail et
par conséquent la masse des valeurs d'usage livrées par lui, diminue la valeur
de cette masse ainsi augmentée, s'il raccourcit le temps total de travail
nécessaire à sa production, et il en est de même inversement.
Il résulte de ce qui précède que s'il n'y a pas, à
proprement parler, deux sortes de travail dans la marchandise, cependant le
même travail y est opposé à lui-même, suivant qu'on le rapporte à la valeur
d'usage de la marchandise comme à son produit, ou à la valeur de cette
marchandise comme à sa pure expression objective. Tout travail est d'un côté
dépense, dans le sens physiologique, de force humaine, et, à ce titre de
travail humain égal, il forme la valeur des marchandises. De l'autre côté, tout
travail est dépense de la force humaine sous telle ou telle forme productive,
déterminée par un but particulier, et à ce titre de travail concret et utile, il
produit des valeurs d'usage ou utilités. De même que la marchandise doit avant
tout être une utilité pour être une valeur, de même, le travail doit être avant
tout utile, pour être censé dépense de force humaine, travail humain, dans le
sens abstrait du mot[16].
La substance de la valeur et la grandeur de valeur sont
maintenant déterminées. Reste à analyser la forme de la valeur.
Les marchandises viennent au monde sous la forme de valeurs
d'usage ou de matières marchandes, telles que fer, toile, laine, etc. C'est là
tout bonnement leur forme naturelle. Cependant, elles ne sont marchandises que
parce qu'elles sont deux choses à la fois, objets d'utilité et porte-valeur.
Elles ne peuvent donc entrer dans la circulation qu'autant qu'elles se
présentent sous une double forme : leur forme de nature et leur forme de valeur[17].
La réalité que possède la valeur de la marchandise diffère
en ceci de l'amie de Falstaff, la veuve l’Eveillé, qu'on ne sait où la prendre.
Par un contraste des plus criants avec la grossièreté du corps de la
marchandise, il n'est pas un atome de matière qui pénètre dans sa valeur. On
peut donc tourner et ret ourner à volonté une marchandise prise à part ; en
tant qu'objet de valeur, elle reste insaisissable. Si l'on se souvient
cependant que les valeurs des marchandises n'ont qu'une réalité purement sociale,
qu'elles ne l'acquièrent qu'en tant qu'elles sont des expressions de la même
unité sociale, du travail humain, il devient évident que cette réalité sociale
ne peut se manifester aussi que dans les transactions sociales, dans les
rapports des marchandises les unes avec les autres. En fait, nous sommes partis
de la valeur d'échange ou du rapport d'échange des marchandises pour trouver
les traces de leur valeur qui y est cachée. Il nous faut revenir maintenant à
cette forme sous laquelle la valeur nous est d'abord apparue.
Chacun sait, lors même qu'il ne sait rien autre chose, que
les marchandises possèdent une forme valeur particulière qui contraste de la
manière la plus éclatante avec leurs formes naturelles diverses : la forme
monnaie. Il s'agit maintenant de faire ce que l'économie bourgeoise n'a jamais
essayé ; il s'agit de fournir la genèse de la forme monnaie,
c'est-à-dire de développer l'expression de la valeur contenue dans le rapport
de valeur des marchandises depuis son ébauche la plus simple et la moins
apparente jusqu'à cette forme monnaie qui saute aux yeux de tout le monde. En
même temps, sera résolue et disparaîtra l'énigme de la monnaie.
En général, les marchandises n'ont pas d'autre rapport entre
elles qu'un rapport de valeur, et le rapport de valeur le plus simple est
évidemment celui d'une marchandise avec une autre marchandise d'espèce
différente, n'importe laquelle. Le rapport de valeur ou d'échange de deux
marchandises fournit donc pour une marchandise l'expression de valeur la plus
simple.
a) Forme simple ou accidentelle de
la valeur.
x marchandise A = y marchandise B,
ou x marchandise A vaut y marchandise B.(20
mètres de toile = 1 habit, ou 20 mètres de toile ont la valeur d'un habit.)
a) Les deux pôles de l'expression
de la valeur : sa forme relative et sa forme équivalent.
Le mystère de toute forme de valeur gît dans cette forme
simple. Aussi c'est dans son analyse, que se trouve la difficulté.
Deux marchandises différentes A et B, et, dans l'exemple que
nous avons choisi, la toile et l'habit, jouent ici évidemment deux rôles
distincts. La toile exprime sa valeur dans l'habit et celui-ci sert de matière
à cette expression. La première marchandise joue un rôle actif, la seconde un
rôle passif. La valeur de la première est exposée comme valeur relative, la
seconde marchandise fonctionne comme équivalent.
La forme relative et la forme équivalent sont deux aspects
corrélatifs, inséparables, mais, en même temps, des extrêmes opposés, exclusifs
l'un de l'autre, c'est-à-dire des pôles de la même expression de la valeur.
Ils se distribuent toujours entre les diverses marchandises que cette
expression met en rapport. Cette équation : 20 mètres de toile = 20
mètres de toile, exprime seulement que 20 mètres de toile ne sont pas autre
chose que 20 mètres de toile, c'est-à-dire ne sont qu'une certaine somme d'une
valeur d'usage. La valeur de la toile ne peut donc être exprimée que dans une
autre marchandise, c'est-à-dire relativement. Cela suppose que cette autre
marchandise se trouve en face d'elle sous forme d'équivalent. Dun autre côté,
la marchandise qui figure comme équivalent ne peut se trouver à la fois
sous forme de valeur relative. Elle n'exprime pas sa valeur, mais fournit
seulement la matière pour l'expression de la valeur de la première marchandise.
L'expression : 20 mètres de toile = un habit,
ou : 20 mètres de toile valent un habit, renferme, il est vrai, la
réciproque : 1 habit = 20 mètres de toile, ou : 1 habit vaut 20
mètres de toile.
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