Mais il me faut alors renverser l'équation pour
exprimer relativement la valeur de l'habit, et dès que je le fais, la toile
devient équivalent à sa place. Une même marchandise ne peut donc revêtir
simultanément ces deux formes dans la même expression de la valeur. Ces deux
formes s'excluent polariquement.
b) La forme relative de la valeur.
1. Contenu de cette forme. — Pour trouver
comment l'expression simple de la valeur d'une marchandise est contenue dans le
rapport de valeur de deux marchandises, il faut d'abord l'examiner, abstraction
faite de son côté quantitatif. C'est le contraire qu'on fait en général
en envisageant dans le rapport de valeur exclusivement la proportion dans
laquelle des quantités déterminées de deux sortes de marchandises sont dites
égales entre elles. On oublie que des choses différentes ne peuvent être
comparées quantitativement qu'après avoir été ramenées à la même unité.
Alors seulement elles ont le même dénominateur et deviennent commensurables.
Que 20 mètres de toile = 1 habit, ou = 20, ou x habits,
c'est-à-dire qu'une quantité donnée de toile vaille plus ou moins d'habits, une
proportion de ce genre implique toujours que l'habit et la toile, comme
grandeurs de valeur, sont des expressions de la même unité. Toile = habit,
voilà le fondement de l'équation.
Mais les deux marchandises dont la qualité égale, l'essence
identique, est ainsi affirmée, n'y jouent pas le même rôle. Ce n'est que la
valeur de la toile qui s'y trouve exprimée : Et comment ? En la comparant à une
marchandise d'une espèce différente, l'habit comme son équivalent, c'est-à-dire
une chose qui peut la remplacer ou est échangeable avec elle. Il est d'abord
évident que l'habit entre dans ce rapport exclusivement comme forme d'existence
de la valeur, car ce n'est qu'en exprimant de la valeur qu'il peut figurer
comme valeur vis-à-vis d'une autre marchandise. De l'autre côté, le propre
valoir de la toile se montre ici ou acquiert une expression distincte. En
effet, la valeur habit pourrait-elle être mise en équation avec la toile ou lui
servir d'équivalent, si celle-ci n'était pas elle-même valeur ?
Empruntons une analogie à la chimie. L'acide butyrique et le
formiate de propyle sont deux corps qui diffèrent d'apparence aussi bien que de
qualités physiques et chimiques. Néanmoins, ils contiennent les mêmes éléments
: carbone, hydrogène et oxygène. En outre, ils les contiennent dans la même
proportion de C4H8O2.
Maintenant, si l'on mettait le formiate de propyle en équation avec l'acide
butyrique ou si l'on en faisait l'équivalent, le formiate de propyle ne
figurerait dans ce rapport que comme forme d'existence de C4H8O2, c'est-à-dire de la substance qui lui
est commune avec l'acide. Une équation où le formiate de propyle jouerait le
rôle d'équivalent de l'acide butyrique serait donc une manière un peu gauche
d'exprimer la substance de l'acide comme quelque chose de tout à fait distinct
de se forme corporelle.
Si nous disons : en tant que valeurs toutes les marchandises
ne sont que du travail humain cristallisé, nous les ramenons par notre analyse
à l'abstraction valeur, mais, avant comme après, elles ne possèdent qu'une
seule forme, leur forme naturelle d'objets utiles. Il en est tout autrement dès
qu'une marchandise est mise en rapport de valeur avec une autre marchandise.
Dès ce moment, son caractère de valeur ressort et s'affirme comme sa propriété
inhérente qui détermine sa relation avec l'autre marchandise.
L'habit étant posé l'équivalent de la toile, le travail
contenu dans l'habit est affirmé être identique avec le travail contenu dans la
toile. Il est vrai que la taille se distingue du tissage. Mais son équation
avec le tissage la ramène par le fait à ce qu'elle a de réellement commun avec
lui, à son caractère de travail humain. C'est une manière détournée d'exprimer
que le tissage, en tant qu'il tisse de la valeur, ne se distingue en rien de la
taille des vêtements, c'est-à-dire est du travail humain abstrait. Cette
équation exprime donc le caractère spécifique du travail qui constitue la
valeur de la toile.
Il ne suffit pas cependant d'exprimer le caractère
spécifique du travail qui fait la valeur de la toile. La force de travail de
l'homme à l'état fluide, ou le travail humain, forme bien de la valeur, mais
n'est pas valeur. Il ne devient valeur qu'à l'état coagulé, sous la forme d'un
objet. Ainsi, les conditions qu'il faut remplir pour exprimer la valeur de la
toile paraissent se contredire elles-mêmes. D'un côté, il faut la représenter
comme une pure condensation du travail humain abstrait, car en tant que valeur
la marchandise n'a pas d'autre réalité. En même temps, cette condensation doit
revêtir la forme d'un objet visiblement distinct de la toile, elle-même, et qui
tout en lui appartenant, lui soit commune avec une autre marchandise. Ce
problème est déjà résolu.
En effet, nous avons vu que, dès qu'il est posé comme
équivalent, l'habit n'a plus besoin de passeport pour constater son caractère
de valeur. Dans ce rôle, sa propre forme d'existence devient une forme
d'existence de la valeur ; cependant l'habit, le corps de la marchandise habit,
n'est qu'une simple valeur d'usage ; un habit exprime aussi peu de valeur que
le premier morceau de toile venu. Cela prouve tout simplement que, dans le
rapport de valeur de la toile, il signifie plus qu'en dehors de ce rapport ; de
même que maint personnage important dans un costume galonné devient tout à fait
insignifiant si les galons lui manquent.
Dans la production de l'habit, de la force humaine a été
dépensée en fait sous une forme particulière. Du travail humain est donc
accumulé en lui.
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