A ce point de vue, l'habit est porte-valeur, bien qu'il ne
laisse pas percer cette qualité à travers la transparence de ses fils, si râpé
qu'il soit. Et, dans le rapport de valeur de la toile, il ne signifie pas autre
chose. Malgré son extérieur si bien boutonné, la toile a reconnu en lui une âme
sœur pleine de valeur. C'est le côté platonique de l'affaire. En réalité,
l'habit ne peut point représenter dans ses relations extérieures la valeur,
sans que la valeur, prenne en même temps l'aspect d'un habit. C'est ainsi que le
particulier A ne saurait représenter pour l'individu B une majesté, sans que la
majesté aux yeux de B revête immédiatement et la figure et le corps de A ;
c'est pour cela probablement qu'elle change, avec chaque nouveau père du
peuple, de visage, de cheveux, et de mainte autre chose.
Le rapport qui fait de l'habit l'équivalent de la toile
métamorphose donc la forme habit en forme valeur de la toile ou exprime la
valeur de la toile dans la valeur d'usage de l'habit. En tant que valeur
d'usage, la toile est un objet sensiblement différent de l'habit ; en tant que
valeur, elle est chose égale à l'habit et en a l'aspect ; comme cela est
clairement prouvé par l'équivalence de l'habit avec elle. Sa propriété de
valoir apparaît dans son égalité avec l'habit, comme la nature moutonnière du
chrétien dans sa ressemblance avec l'agneau de Dieu.
Comme on le voit, tout ce que l'analyse de la valeur nous
avait révélé auparavant, la toile elle-même le dit, dès qu'elle entre en
société avec une autre marchandise, l'habit. Seulement, elle ne trahit ses
pensées que dans le langage qui lui est familier ; le langage des marchandises.
Pour exprimer que sa valeur vient du travail humain, dans sa propriété
abstraite, elle dit que l'habit en tant qu'il vaut autant qu'elle, c'est-à-dire
est valeur, se compose du même travail qu'elle même. Pour exprimer que sa
réalité sublime comme valeur est distincte de son corps raide et filamenteux,
elle dit que la valeur a l'aspect d'un habit, et que par conséquent elle-même,
comme chose valable, ressemble à l'habit, comme un œuf à un autre. Remarquons
en passant que la langue des marchandises possède, outre l'hébreu, beaucoup
d'autres dialectes et patois plus ou moins corrects. Le mot allemand Werstein,
par exemple, exprime moins nettement que le verbe roman valere, valer,
et le français valoir, que l'affirmation de l'équivalence de la
marchandise B avec la marchandise A est l'expression propre de la valeur de
cette dernière. Paris vaut bien une messe.
En vertu du rapport de valeur, la forme naturelle de la
marchandise B devient la forme de valeur de la marchandise A, ou bien le corps
de B devient pour A le miroir de sa valeur[18].
La valeur de la marchandise A ainsi exprimée dans la valeur d'usage de la
marchandise B acquiert la forme de valeur relative.
2. Détermination quantitative de la valeur
relative. — Toute marchandise dont la valeur doit être exprimée est un
certain quantum d'un chose utile, par exemple : 15 boisseaux de froment,
100 livres de café, etc., qui contient un quantum déterminé de travail.
La forme de la valeur a donc à exprimer non seulement de la valeur en général,
mais une valeur d'une certaine grandeur. Dans le rapport de valeur de la
marchandise A avec la marchandise B, non seulement la marchandise B est
déclarée égale à A au point de vue de la qualité, mais encore un certain quantum
de B équivaut au quantum donné de A.
L'équation : 20 mètres de toile = 1 habit, ou 20 mètres de
toile valent un habit, suppose que les deux marchandises coûtent autant
de travail l'une que l'autre, ou se produisent dans le même temps ; mais ce
temps varie pour chacune d'elles avec chaque variation de la force productive
du travail qui la crée. Examinons maintenant l'influence de ces variations sur
l'expression relative de la grandeur de valeur.
I. Que la valeur de la toile change pendant que la valeur
de l'habit reste constante[19].
— Le temps de travail nécessaire à sa production double-t-il, par suite, je
suppose, d'un moindre rendement du sol qui fournit le lin, alors sa valeur
double. Au lieu de 20 mètres de toile = 1 habit, nous aurions :
20 mètres de toile = 2 habits, parce que 1 habit contient
maintenant moitié moins de travail. Le temps nécessaire à la production de la
toile diminue-t-il au contraire de moitié par suite d'un perfectionnement
apporté aux métiers à tisser sa valeur diminue dans la même proportion. Dès
lors, 20 mètres de toile = 1/2 habit. La valeur relative de la
marchandise A, c'est-à-dire sa valeur exprimée dans la marchandise B, hausse ou
baisse, par conséquent, en raison directe de la valeur de la marchandise A si
celle de la marchandise B reste constante.
II. Que la valeur de la toile reste constante pendant
que la valeur de 1 habit varie. — Le temps nécessaire à la production de
l'habit double-t-il dans ces circonstances, par suite, je suppose, d'une tonte
de laine peu favorable, au lieu de 20 mètres de toile = 1 habit,
nous avons maintenant 20 mètres de toile = 1/2 habit. La valeur
de l'habit tombe-t-elle au contraire de moitié, alors 20 mètres de toile =
2 habits. La valeur de la marchandise A demeurant constante, on voit que
sa valeur relative exprimée dans la marchandise B hausse ou baisse en raison
inverse du changement de valeur de B.
Si l'on compare les cas divers compris dans I et II, il est
manifeste que le même changement de grandeur de la valeur relative peut
résulter de causes tout opposées. Ainsi l'équation : 20 mètres de toile =
1 habit devient : 20 mètres de toile = 2 habits, soit
parce que la valeur de la toile double ou que la valeur des habits diminue de
moitié, et 20 mètres de toile = 1/2 habit, soit parce que la
valeur de la toile diminue de moitié ou que la valeur de l'habit devient
double.
III. Les quantités de travail nécessaires à la
production de la toile et de l'habit changent-elles simultanément, dans le même
sens et dans la même proportion ? Dans ce cas, 20 mètres de toile = 1 habit
comme auparavant, quels que soient leurs changements de valeur. On découvre
ces changements par comparaison avec une troisième marchandise dont la valeur
reste, la même. Si les valeurs de toutes les marchandises augmentaient ou
diminuaient simultanément et dans la même proportion, leurs valeurs-relatives
n'éprouveraient aucune variation. Leur changement réel de valeur se
reconnaîtrait à ce que, dans un même temps de travail, il serait maintenant
livré en général une quantité de marchandises plus ou moins grande
qu'auparavant.
IV. Les temps de travail nécessaires à la production
et de la toile et de l'habit, ainsi que leurs valeurs, peuvent simultanément
changer dans le même sens, mais à un degré différent, ou dans un sens opposé,
etc. L'influence de toute combinaison possible de ce genre sur la valeur
relative d'une marchandise se calcule facilement par l'emploi des cas I, II et
III.
Les changements réels dans la grandeur de la valeur ne se
reflètent point comme on le voit, ni clairement ni complètement dans leur
expression relative. La valeur relative d'une marchandise peut changer, bien
que sa valeur reste constante, elle peut rester constante, bien que sa valeur
change, et, enfin, des changements dans la quantité de valeur et dans son
expression relative peuvent être simultanés sans correspondre exactement[20].
c) La forme équivalent et ses
particularités.
On l'a déjà vu : en même temps qu'une marchandise A (la
toile), exprime, sa valeur dans la valeur d'usage d'une marchandise différente
B (l'habit), elle imprime à cette dernière une forme particulière de valeur,
celle d'équivalent. La toile manifeste son propre caractère de valeur par un
rapport dans lequel une autre marchandise, l'habit, tel qu'il est dans sa forme
naturelle, lui fait équation.
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