Elle exprime donc qu'elle-même vaut quelque
chose, par ce fait qu'une autre marchandise, l'habit, est immédiatement
échangeable avec elle.
En tant que valeurs, toutes les marchandises sont des
expressions égales d'une même unité, le travail humain, remplaçables les unes par
les autres. Une marchandise est, par conséquent, échangeable avec une autre
marchandise, dès qu'elle possède une forme, qui la fait apparaître comme
valeur.
Une marchandise est immédiatement échangeable avec toute
autre dont elle est l'équivalent, c'est-à-dire : la place qu'elle occupe dans
le rapport de valeur fait de sa forme naturelle la forme valeur de l'autre
marchandise. Elle n'a pas besoin de revêtir une forme différente de sa forme
naturelle pour se manifester comme valeur à l'autre marchandise, pour valoir
comme telle et, par conséquent, pour être échangeable avec elle. La forme
équivalent est donc pour une marchandise la forme sous laquelle elle est
immédiatement échangeable avec une autre.
Quand une marchandise, comme des habits, par exemple, sert
d'équivalent à une autre marchandise, telle que la toile, et acquiert ainsi la
propriété caractéristique d'être immédiatement échangeable avec celle-ci, la
proportion n'est pas le moins du monde donnée dans laquelle cet échange peut
s'effectuer. Comme la quantité de valeur de la toile est donnée, cela dépendra
de la quantité de valeur des habits. Que dans le rapport de valeur, l'habit
figure comme équivalent et la toile comme valeur relative, ou que ce soit
l'inverse, la proportion, dans laquelle se fait l'échange, reste la même. La
quantité de valeur respective des deux marchandises, mesurée par la durée
comparative du travail nécessaire à leur production, est, par conséquent, une
détermination tout à fait indépendante de la forme de valeur.
La marchandise dont la valeur se trouve sous la forme
relative est toujours exprimée comme quantité de valeur, tandis qu'au contraire
il n'en est jamais ainsi de l'équivalent qui figure toujours dans
l'équation comme simple quantité d'une chose utile. 40 mètres de toile, par
exemple, valent — quoi ? 2 habits. La marchandise habit jouant ici le
rôle d'équivalent, donnant ainsi un corps à la valeur de la toile, il suffit
d'un certain quantum d'habits pour exprimer le quantum de valeur
qui appartient à la toile. Donc, 2 habits peuvent exprimer la quantité de
valeur de 40 mètres de toile, mais non la leur propre. L'observation
superficielle de ce fait, que, dans l'équation de la valeur, l'équivalent ne
figure jamais que comme simple quantum d'un objet d'utilité, a induit en
erreur S. Bailey ainsi que beaucoup d'économistes avant et après lui. Ils n'ont
vu dans l'expression de la valeur qu'un rapport de quantité. Or, sous la forme
équivalent une marchandise figure comme simple quantité d'une matière
quelconque précisément parce que la quantité de sa valeur n'est pas exprimée.
Les contradictions que renferme la forme équivalent exigent
maintenant un examen plus approfondies de ses particularités.
Première particularité de la forme équivalent : la
valeur d'usage devient la forme de manifestation de son contraire, la valeur.
La forme naturelle des marchandises devient leur forme de
valeur. Mais, en fait, ce quid pro quo n'a lieu pour une marchandise B
(habit, froment, fer, etc.) que dans les limites du rapport de valeur, dans lequel
une autre marchandise, A (toile, etc.) entre avec elle, et seulement dans ces
limites. Considéré isolément, l'habit, par exemple, n'est qu'un objet
d'utilité, une valeur d'usage, absolument comme la toile ; sa forme n'est que
la forme naturelle d'un genre particulier de marchandise. Mais comme aucune
marchandise ne peut se rapporter à elle-même comme équivalent, ni faire de sa
forme naturelle la forme de sa propre valeur, elle doit nécessairement prendre
pour équivalent une autre marchandise dont la valeur d'usage lui sert ainsi de
forme valeur.
Une mesure appliquée aux marchandises en tant que matières,
c'est-à-dire en tant que valeurs d'usage, va nous servir d'exemple pour mettre
ce qui précède directement sous : les yeux du lecteur. Un pain de sucre,
puisqu'il est un corps, est pesant et, par conséquent, a du poids ; mais il est
impossible de voir ou de sentir ce poids rien qu'à l'apparence. Nous prenons
maintenant divers morceaux de fer de poids connu. La forme matérielle du fer,
considérée en elle-même, est aussi peu une forme de manifestation de la
pesanteur que celle du pain de sucre. Cependant, pour exprimer que ce dernier
est pesant, nous le plaçons en un rapport de poids avec le fer. Dans ce
rapport, le fer est considéré comme un corps qui ne représente rien que de la
pesanteur. Des quantités de fer employées pour mesurer le poids du sucre
représentent donc vis-à-vis de la matière sucre une simple forme, la forme sous
laquelle la pesanteur se manifeste. Le fer ne peut jouer ce rôle qu'autant que le
sucre ou n'importe quel autre corps, dont le poids doit être trouvé, est mis en
rapport avec lui à ce point de vue. Si les deux objets n'étaient pas pesants,
aucun rapport de cette espèce ne serait possible entre eux, et l'un ne pourrait
point servir d'expression à la pesanteur de l'autre. Jetons-les tous deux dans
la balance et nous voyons en fait qu'ils sont la même chose comme pesanteur, et
que, par conséquent, dans une certaine proportion ils sont aussi du même poids.
De même que le corps fer, comme mesure de poids, vis-à-vis du pain de sucre ne
représente que pesanteur, de même, dans notre expression de valeur, le corps
habit vis-à-vis de la toile ne représente que valeur.
Ici cependant cesse l'analogie. Dans l'expression de poids
du pain de sucre, le fer représente une qualité naturelle commune aux deux
corps, leur pesanteur, tandis que dans l'expression de valeur de la toile, le
corps habit représente une qualité surnaturelle des deux objets, leur valeur,
un caractère d'empreinte purement sociale.
Du moment que la forme relative exprime la valeur d'une
marchandise de la toile, par exemple, comme quelque chose de complètement
différent de son corps lui-même et de ses propriétés, comme quelque chose qui
ressemble, à un habit, par exemple, elle fait entendre que sous cette
expression un rapport social est caché.
C'est l'inverse qui a lieu avec la forme équivalent. Elle
consiste précisément en ce que le corps d'une marchandise, un habit, par
exemple, en ce que cette chose, telle quelle, exprime de la valeur, et, par
conséquent possède naturellement forme de valeur. Il est vrai que cela n'est
juste qu'autant qu'une autre marchandise, comme la toile, se rapporte à elle
comme équivalent[21].
Mais, de même que les propriétés matérielles d'une chose ne font que se confirmer
dans ses rapports extérieurs avec d'autres choses au lieu d'en découler, de
même, l'habit semble tirer de la nature et non du rapport de valeur de la toile
sa forme équivalent, sa propriété d'être immédiatement échangeable, au même
titre que sa propriété d'être pesant ou de tenir chaud.
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