Eh bien, oui, je crois qu’il est exposé à de sérieux dangers… Demain ou après-demain…

– J’espère que vous vous trompez, répondit le jeune homme en cherchant des yeux la silhouette encore visible de son père. Lui ne prend pas la chose aussi sérieusement que vous.

– C’est parce qu’il n’a pas mon expérience… Je sais qu’il a été voir le Chef de la Sûreté, l’inspecteur Parr, qui l’a mis en garde, lui aussi…

Malgré les craintes qui l’assiégeaient, Jack sourit :

– Pourtant, vous n’êtes pas souvent du même avis, vous détectives privés, avec la police officielle !

– J’admire l’inspecteur Parr, répondit Yale fermement. Il est peut-être un peu lent, mais très fort. On dit qu’il est un des chefs les plus consciencieux qu’on ait vus depuis longtemps à la Sûreté, et je crois qu’il a été assez mal jugé par ses supérieurs dans cette affaire du Cercle Rouge. Ils l’ont averti, paraît-il, que, s’il n’arrivait pas à arrêter cette bande, il devrait démissionner.

Pendant ce temps, Mr Beardmore s’était avancé jusqu’à la lisière d’un petit bois séparant le jardin du parc et y était entré…

– J’ai collaboré avec Parr lors de l’enquête sur le dernier assassinat commis par le Cercle Rouge, continua Yale, et j’ai été frappé…

Il s’arrêta court. Les deux hommes se regardèrent.

On ne pouvait s’y méprendre : un coup de feu venait de claquer dans la direction du petit bois. Prompt comme l’éclair, Jack sauta par-dessus la balustrade et s’élança à travers les pelouses. Derrick Yale le suivit de près.

À vingt pas de l’entrée du bois, ils trouvèrent James Beardmore étendu face contre terre. Il était mort.

Tandis que Jack cherchait en vain à trouver quelque trace de vie dans le corps inanimé de son père, une jeune fille sortait de l’autre extrémité du bois. Elle s’arrêta un moment pour essuyer aux herbes sa main tachée de rouge. Puis, elle courut jusqu’à la brèche que Jack avait ménagée dans la haie, la traversa et s’élança vers la porte du petit pavillon abandonné.

Là, Thalia Drummond jeta des regards rapides autour d’elle. Elle haletait ; elle était blanche comme neige. Après un dernier coup d’œil dans la direction du petit bois, elle entra dans le pavillon. Elle s’agenouilla dans un coin et chercha à soulever une planche du parquet. Ses mains tremblaient. Elle y réussit enfin, découvrit une petite cavité creusée sous le plancher et, après une seconde d’hésitation, y jeta le revolver qu’elle tenait à la main ; puis elle remit la planche en place.

6

THALIA DRUMMOND

Le Préfet de police, le colonel Morton, regardait la coupure de journal placée devant lui en mordillant son épaisse moustache grise. Le Chef inspecteur Parr, qui savait ce que ce geste signifiait, attendait, d’un air détaché, ce que son supérieur avait à lui dire.

Parr était très corpulent et si petit que l’on se demandait comment il avait pu entrer dans la police. Il avait un peu moins de cinquante ans, une bonne grosse figure rouge d’où toute trace d’intelligence et de finesse semblait absente. Ses gros yeux ronds et saillants étaient sans expression, son nez fort, ses lourdes bajoues, son crâne presque dénudé ; tous ses traits manquaient totalement de caractère.

Le Préfet prit la coupure de journal.

– Écoutez ceci, dit-il. C’est un extrait de l’éditorial du Morning Monitor.

Il lut :

« Pour la seconde fois en moins d’un an, l’opinion publique est alarmée à la suite d’un crime inouï. Il est inutile de donner ici les détails que l’on trouvera plus loin. Mais il nous faut exprimer nettement notre étonnement devant l’impuissance de la police. Le Chef de la Sûreté, l’inspecteur Parr, qui travaille depuis plusieurs mois à éclaircir les mystères du Cercle Rouge, ne nous promet encore que de vagues révélations qui n’arrivent jamais. De toute évidence, l’état-major de la Sûreté a besoin d’une refonte complète, d’éléments nouveaux, plus actifs, plus intelligents et plus jeunes. Nous espérons que le Gouvernement n’hésitera pas à agir énergiquement et à porter le fer dans la plaie, même s’il faut recourir à des amputations douloureuses. »

– Eh bien ! Parr, grogna le Préfet, que dites-vous de cela ?

Le Chef de la Sûreté se frotta le menton et ne répondit rien.

– Mr James Beardmore, reprit Morton, vient d’être assassiné malgré le fait que la police eut connaissance des menaces qui pesaient sur lui. Il a été tué en vue de sa maison, et l’assassin court encore. Pour la seconde fois, nous sommes en présence d’un crime sensationnel, et je ne vous cacherai pas mon intention d’écouter les conseils de ces coquins de journalistes. Lors de la première affaire, vous aviez eu recours aux conseils de ce détective privé, Mr Yale. L’avez-vous revu cette fois ?

– Oui.

– Et que dit-il ?

– Des tas de sottises à propos d’un homme brun qui aurait mal aux dents…

– D’où sort-il cela ?

– De l’examen de la douille trouvée sur le lieu du crime… Mais je ne puis prendre au sérieux ces divagations psychométriques.

– Je crains que vous ne méprisiez bien des indices qui pourraient être utiles, Parr. En tout cas, ne faites pas fi des données de Yale.