Il y a là trois points singuliers et que nous ne pouvons pas négliger. Rappelez-vous bien, Ravenot, vous n'avez pas observé d'allées et venues suspectes ?

– Aucune, monsieur le comte.

– Et vous, Amélie ?

– Moi non plus, monsieur le comte.

Il sembla que la réponse d'Amélie, très précise et tout à fait spontanée, fût accompagnée d'une certaine réticence dans l'intonation, et plus encore dans le regard.

– Qu'y a-t-il, Amélie ?

– Eh bien, monsieur le comte, à un moment donné, comme nous étions sur le perron, une minute après, pas plus, en me retournant, j'ai cru voir de loin… Le vestibule était allumé…, mais pas la salle à manger… Or, j'ai vu une ombre qui passait dans le noir. Mais je n'y ai pas fait attention et je n'en ai même pas parlé à Ravenot…

– Un étranger, alors ? Un malfaiteur ? C'est invraisemblable… Tout cela est du domaine de la fantaisie.

Bresson intervint.

– Fantaisie ou non, avouez, d'Orsacq, que cela s'accorde diablement avec cette vision que j'ai eue d'un homme qui enjambait la fenêtre et qui sautait par là.

– Coïncidence ! s'écria le comte, qui s'insurgeait contre la réalité. Hallucination comme dit votre femme.

Boisgenêt observa :

– D'ailleurs, peut-on affirmer qu'un homme qui se serait enfui par une fenêtre aurait pu ramener suffisamment les battants sur lui pour qu'elle ait l'air d'être close ?

– Essayez, Ravenot, ordonna le comte. Et ensuite vous sauterez dans le buisson et vous verrez s'il y a des traces de pas.

– Oui, monsieur le comte. J'ai justement ma lampe électrique de poche. Mais des traces de pas… après la pluie… c'est peu probable.

– Peu probable, en effet. Mais il y a des massifs… Des plantes ont pu être dérangées, abîmées.

Ravenot ouvrit. Il se glissa dehors, et ramena les deux battants sur lui. La fenêtre fut fermée hermétiquement.

– Vous voyez…. vous voyez…. articula Vanol avec anxiété, la preuve est faite… on peut passer et disparaître…

Boisgenêt frappa du pied.

– Passer, pour quoi faire ? Il y avait vingt autres chemins pour entrer dans le château et en partir sans se servir de cette fenêtre ! Sacrebleu ! un malfaiteur ne s'introduit pas dans une pièce sans aucune raison valable.

– Eh bien, justement, remarqua Vanol, il y avait une raison valable pour qu'il s'introduisit dans cette pièce plutôt que dans une autre.

– Laquelle ?

– Le coffre-fort.

Boisgenêt haussa les épaules.

– Mais puisque ce coffre-fort ne contient rien ! N'est-ce pas, d'Orsacq ? Tu nous l'as dit.

– Je ne l'ai jamais utilisé, fit distraitement d'Orsacq, que pour y mettre des papiers sans valeur réelle… des baux… des registres d'exploitation… des quittances… Cependant…

– Quoi, cependant ?

– Eh bien, depuis avant-hier…

– Eh bien, depuis avant-hier ?…

Jean d'Orsacq courut vers le placard, dérangea le fauteuil et entra.

– Rien de suspect, dit-il aussitôt. On ne l'a pas forcé, en tout cas.

– On l'a peut-être ouvert…

– Pour l'ouvrir, il eût fallu deux choses, d'abord connaître le chiffre de la serrure, ensuite et surtout, posséder cette clef.

– Et vous l'avez, cette clef ?…

– Elle est toujours sur moi, à mon trousseau. Tenez, la voici. Par conséquent, je suis tranquille.

– Tout de même, ouvrez et vérifiez.

– À quoi bon, puisqu'elle n'a pas quitté ma poche ? Mais, à l'une des vitres on frappa. Ce ne pouvait être que Ravenot. De fait, Bresson ayant ouvert la fenêtre, on aperçut Ravenot, une lanterne à la main.

– La plate-bande a bien été piétinée… deux branches ont été cassées. Et puis surtout…

– Quoi ? fit le comte.

– J'ai trouvé cette clef.

D'Orsacq la prit en hâte, l'examina et dit :

– C'est une vieille clef qui ne ressemble en rien à celle du coffre… Non, le coffre est intact. Cherchez encore Ravenot, s'il n'y a pas autre chose, et revenez par le vestibule.

Il ferma les battants, il déplia et rabattit les volets intérieurs. Puis il dit à ses hôtes :

– Je n'ai pas voulu parler devant ce domestique. Mais cette clef est exactement la même que la mienne. Aucune erreur possible. Donc, aucun doute n'est possible, quelqu'un est venu. Mais il n'a pu rien faire, puisqu'il ignorait le chiffre de la serrure.

– Vérifiez tout de même.

– À quoi bon ?

– À quoi bon ? Mais, vous nous avez fait la même réponse pour la clef. Et cependant une autre clef existait. Je vous en prie, vérifiez, d'Orsacq.

– Puisque vous insistez…

Il courut de nouveau jusqu'au placard, s'agenouilla et introduisit la clef. Il n'eut qu'à tirer pour que le lourd battant de fer s'ouvrît. Il se pencha et murmura :

– C'est inconcevable.

– Quoi ?

– On a pris un rouleau enveloppé d'un journal que j'avais placé sur ce rayon il y a trois semaines, et qui s'y trouvait encore hier soir.

– Et ce rouleau contenait ?

– Des titres… des obligations… pour plus d'un demi-million.

 

Chapitre 5

 

La tourmente qui commençait à souffler sur les habitants du château subit un temps d'arrêt. Et ce répit provenait du sang-froid avec lequel le comte d'Orsacq accueillit la découverte du vol. Il arpenta la pièce durant quelques instants, sans mot dire.