Ces petites chéries
n’échappèrent point à la contagion du modernisme et inventèrent la poésie pure, laquelle
finissait, pour les rajeunir, en prière, c’est-à-dire en queue de tétard. Le qualificatif, d’allure, à la fois, évangélique et chimique, signifiait qu’on avait entendu miser sur plusieurs
tableaux. Depuis longtemps, la Religion se
plaisait à croire qu’elle avait, dans la personne de Pasteur, annexé la science. En fait
de poète, elle avait bien Verlaine. Tout de
même, le pauvre Lélian était par trop arsouille. Alors, l’abbé Brémond croupier de la
grande roulette bondieusarde, prétendit mettre dans son jeu, dans sa poche, la poésie tout
entière. Cette tricherie lui valut renom de
finesse et de modernisme, partant une gloire,
qui, dans cent ans, donnera fière idée de l’époque à qui feuilletera les collections de nos
journaux et revues littéraires.
Sans doute les opinions des laïcs officiels et
semi officiels ne valaient-elles pas mieux que
les balivernes du mêle-tout enjuponné. Pour
Paul Soudày, par exemple, la chose écrite,
prose ou vers, devait, avant tout, avoir pour
but le divertissement de l’honnête homme.
Ainsi, continuait-on à ne voir dans la poésie
qu’une mine à sujets de pendules.
D’un article que M. Thibaudet, dans la
N.R.F. du 1er janvier 1932 (les belles étrennes !)
a, sous le titre : Un idéaliste de province, consacré à Victor Bérard, j’extrais ces lignes :
Lamartine a introduit en France une politique des poètes et une poésie de la politique.
Et le sel de la politique ou son âme, ce sont
ses poètes. Barrès et Maurras sont les poètes
de la politique de droite. Et la gauche ? Elle
en a, elle en cherche et elle n’en chercherait
pas, si elle n’en avait trouvé. Un jour que, dans
une réception officielle, Mme de Noailles passait au bras de M. Herriot, M. Painlevé qui est
mathématicien mais fin, les désigna à ses voisins avec ces mots : Deux poètes. Ce sera d’ailleurs une des gloires de Mme de Noailles que
d’avoir exprimé au XXe siècle, entre Jaurès et
Barrès, quelque chose de ce principe généreux
de la poésie, de cette présence du courant lamartinien dans la vie politique française.
Parce qu’elle éclaire cette demi-page, il faut
citer cette phrase, à la fin de l’article de
M. Thibaudet :
Au Sénat, Bérard, incarnait avec flamme,
originalité et invention le meilleur de la République, un mouvement, une liaison, un dialogue entre trois visages de la République, que
j’appellerai République des procureurs, République des professeurs, République des idées.
LA REPUBLIQUE DES PROFESSEURS
La République des professeurs, l’expression
est chère à M. Thibaudet qui a, d’ailleurs, le
mérite de l’avoir inventée. Or, parce que, au
seuil de leur République, MM. les professeurs
ne sauraient manquer d’être les procureurs
d’idées, dans ce dialogue entre trois visages,
leur voix couvrira les autres, ce qui permettra
aux opportunistes de nous la faire à l’union
sacrée, au nom de la civilisation à sauver, de
bouche, ce ne peut, ce ne doit être que pour
la culture et du bon sens français. Donc la
parole est à l’universitaire.
Si l’un des deux autres masques ouvre la
un dégueulis de ces lourds morceaux que
dans les lycées, les facultés, il faut avaler, de
gré ou de force.
Pour la France officielle, la poésie c’est,
avant tout, un jeu, un exercice d’éloquence. Et
il ne s’agit même plus de la faconde méditerranéenne. Le soleil, l’ail, l’accent, le mélange
de sperme, de coquillage secret et de fruits
trop mûrs, dont se trouve naturellement arfumée toute vieille cité phocéenne, voilà qui
a été corrigé par la tristesse septentrionale.
Langue d’oc et langue d’oïl, l’une en l’autre
fondue, et, l’Europe a eu sa langue diplomatique. Quant aux autochtones, ils se sont consacrés au culte d’un verbalisme décoloré. De
Racine (Andromaque, le fameux discours à
Pyrrhus : avant que tous les Grecs vous parlent par ma voix) à Lamartine (la phrase sur
le drapeau tricolore qui a fait le tour du
monde et le drapeau rouge qui n’a fait que le
tour du champ de Mars), les leçons que reçoivent, de leurs grands ou petits maîtres, à
propos de textes rimés, lycéens et étudiants,
ne sont que leçons de ruses oratoires.
Quant à la connaissance intime et générale
de l’homme, certains ne font profession de lui
vouer leurs travaux, leurs existences qu’à
seule fin de lui dénier, de l’intérieur, toute
chance de progrès.
En vérité, depuis des siècles, on se contente
de répéter les mêmes expériences et considé
rations sur certains réflexes à fleur de peau,
avec une volonté d’agnosticisme ou, au moins,
le désir de conclure qu’il n’y a rien de changé
sous le soleil. Et que se produise, quelque part,
ce changement dont ne veulent pas les classes
favorisées, elles crieront à la monstruosité. De
toute source, il faut, sur le champ, faire une
eau de table, et, si le geyser ne veut se laisser
mettre en bouteille, qu’on l’écrase des plus
lourdes pierres. Ainsi, un égocentrisme à
courtes vues décide les individus à l’individualisme, les nations au nationalisme.
Que les éléments se mettent à bouillir sous
les carapaces dont ils les ont revêtu et ces
messieurs de la surface s’étonneront (cf. Paul
Valéry – Lettres sur la crise de l’esprit) de ne
pas peser plus lourd qu’un grain de sable, à
cette colère exaspérée par leur obstination
compresseuse...
Politique des poètes, poètes de la politique
ne visent qu’à endormir l’humanité au rythme
de quelques phrases pas trop mal venues.
D’Orphée, les intellectuels, en mal de carrière
parlementaire, ne considèrent que la réussite
électorale. Oui, les pierres, les lions, les roseaux votaient pour l’amant d’Eurydice.
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