Il s’agit donc de trouver une formule capable d’entraîner la majorité, de l’entraîner au fil du courant lamartinien. Alors, au moins on ne risquera plus d’aller trop vite, de se casser le nez, puisqu’on sera au beau milieu d’un lac – le Lac – informe, immobile, verbeux.

Dans la boue de ses rives, on a planté une pépinière de mots historiques, un potager de métaphores décisives. Quartier réservé aux procureurs d’idées. Les hommes ne tolèrent pas que les femmes s’y promènent. Mme de Noailles a dû affirmer, en plusieurs volumes, son amour des larges pensées et des haricots verts pour avoir le droit d’y voleter, sautiller. Maintenant elle y est, elle y reste. Herriot lui a offert son bras, Painlevé approuve, Thibaudet se réjouit. De quoi nous plaindrions-nous ? Elle est le rossignol, l’oiseau, de ces Messieurs, le zoziau à ses pépères.

Mais on n’assiste pas impunément à sa propre apothéose, fût-elle arrangée par le plus finaud des n.r.fiens. La poétesse, aussi politico-littérairement allégorique et glorieuse qu’ait pu la vouloir M. Thibaudet, à faire la navette du plus pesant utopiste à la plus réactionnaire des rossinantes, attelés de front au char de la République des professeurs, évoque for cément une autre chose ailée, la mouche du coche, mouche du coche d’eau, dirons-nous, puisqu’il s’agit du courant lamartinien. D’ailleurs, ne va-t-on pas, comme de coutume, nous offrir de remonter le Rhône jusqu’à la Mecque Paneuropéenne, jusqu’à l’écrin du petit bijou S.D.N.

D’une pierre, deux coups : les bords du Léman sont également chers à Mme de Noailles qui écrivit, à Amphion, ses premiers vers et à M. Thibaudet qui enseigne dans la ville de Calvin.

Or, s’il a suffi du passage de Radrabinath Tagore pour que le téléphone de notre poétesse devînt un fleuve d’amour, il y a tout à parier, qu’elle ne songe qu’à jouer la fée des eaux romantiques. Elle rêve de voir englouti le peu de solide qui nous reste. Alors, elle se rappellerait la colombe du déluge. Elle agrémenterait sa Légion d’honneur d’un rameau d’olivier. Herriot, Painlevé, Thibaudet battraient des mains, et au rythme de leurs applaudissements la République des professeurs n’aurait plus qu’à chanter le refrain de la célèbre chanson :

Si cette histoire vous amuse

Nous pourrons la la la recommencer.

Mais le courant lamartinien, de ses ondes aristocratiques et bourgeoises, ne saurait noyer le remous issu des profondeurs, les colères sismiques, l’émoi des lames de fonds par dessus quoi, il passait sans sourciller. S’il est parlé de poésie, une phrase est à citer, celle de Lautréamont qui avait bien quelque titre à s’exprimer sur la matière : : la poésie peut être faite par tous, non par un. Commentant cette proposition, Paul Eluard d’écrire : La poésie purifiera les hommes, tous les hommes, toutes les tours d’ivoire seront démolies, toutes les paroles seront sacrées, et, ayant enfin bouleversé la réalité, l’homme n’aura plus qu’à fermer les yeux pour que s’ouvrent les portes du merveilleux.

Les tours d’ivoire, mais celles qui restent c’est du toc à renverser d’une chiquenaude, des tours façon ivoire, du carton pâte en vérité, des cercueils pour squelettes de moustiques, des boîtes où ranger tout ce que le courant lamartinien nous a valu de lyres et de lyristes, lyromanes mysticards, officiels, démagogues, avec leurs très comiques auréoles de pâmoisons, paradis, catholiques, artificiels et libéraux, attitudes, prétentions à l’incompris, à la fatalité photogénique et archi-individualiste.

Cravates de commandeur, robes universitaires, uniformes académiques, tous ces oripeaux dont la troisième République n’a même pas le mérite de les avoir inventés, bien que, depuis belle lurette, les mites s’y soient mises, au conformisme de la majorité des intellectuels, ils n’ont cessé de signifier un ordre, dont, ces messieurs sont les serveurs. Une atmosphère de concours agricole, de distribution des prix, de réception sous la coupole, de funérailles nationales, voilà tout ce qui fait frémir les narines poétiques officielles de la République des professeurs.

 

POST-SCRIPTUM

Relevant leurs jupes de mensonge, les grosses molles républiques désignent comme des puits de vérité, au fond des forêts pubiques leurs trous à virginités. puis disent : tiens prends mon pouvoir public.

Elles parlent à ceux dont le sang est poussière, la verge, un tire-bouton philantropique et les couilles, deux pauvres lampions ramassés dans les poubelles du libéralisme, un lendemain de quatorze juillet.

Le cerveau c’est couleur de sperme et Jean-Jacques Rousseau déjà, celui dont le cercueil genevois devait servir de berceau à la Société des Nations, à chaque masturbation, annonçait, pour le bonheur des précieuses à fanfreluches. les belles dont il était la coqueluche

« Mesdames venez voir couler une cervelle. »

Mais on a beau être conservateur, le foutre ne veut pas se laisser mettre en bouteille, tandis qu’un cerveau, si on ne le porte que le Dimanche, jour de repos, pour ne pas l’user trop vite, ta semaine, on le range sous le globe jumeau de celui qui, entre deux candélabres, pour le plus bel ornement des cheminées vertueuses abrite la symbolique couronne de fleurs d’oranger,

Car la vieille pucelle est digne de Monsieur l’intellectuel puisque, si le pucelage vaut son pesant d’or et vaut son pesant d’or aussi l’intellectualité, sur le pont des pesants d’or ne peuvent que se rencontrer la vieille pucelle et M. l’intellectuel.

Et voilà comment toute grosse molle république prend pour maquereau un pseudo philosophique.

Elle le donne en successeur à Dieu.

Or Dieu dit à Adam

« Tu travailleras à la sueur de ton front », et c’est l’abominable histoire du paradis perdu qui se répète, quand sont offertes des petites écoles, en guise d’éden provisoire tandis que M. l’Intellectuel réserve à sa jouissance les fruits de l’arbre de la science. Il veut qu’on apprenne, simplement, à le vénérer lui et son caprice et la boite à malices qui sert d’écrin à ses délices.

Homme des rues, homme aux poings durs casse les vieilles garnitures toutes les porcelaines des raffinements écrase lobe par lobe puis jette au fumier les cerveaux. sous globe.

Arrache à toutes les marionnettes leurs nerfs pourris, fais-en des cordes pour les violons de leurs si distinguées mélancolies et souviens-toi que si M. l’intellectuel pense avec ses bretelles, et le Monsieur de la psychologie avec son parapluie, le gracieux poète avec ses tire-chaussettes leurs compères

Messieurs les militaires avec quoi pensent-ils donc sinon avec mitrailleuses et canons ?

 

DE QUELQUES FORMULES PROTECTRICES

Que nous nous écartions des églises et de l’ombre dont elles lapident l’humanité, que nous parvenions à oublier la suffisance officielle et la grossièreté romaine ressuscitée à chaque édifice parlementaire, à peine aurons-nous fait trois pas que, déjà, nous aurons donné contre un de ces vieux panneaux, de ces panneaux-réclames, à l’ombre desquels, sur des terres d’on ne peut plus vaine pâture, dignes de leurs frères curaillons, broutent les clercs du pape qui se croit papillon Benda.

Dans le chiendent de l’impartialité, ils cherchent, non pas même des têtes, mais des pointes d’épingle analytique, dont leur myopie moutonnière aime à s’éblouir.

Alors, un petit coup de saute-mouton pardessus ces pédantes et basses échines. Il suffit de quelque élan et d’une tête pas trop molle pour crever ces écrans-protecteurs...

 

Le Français né malin, constate un de nos plus célèbres on-dit, inventa le vaudeville.

Le même Français se plait à répéter urbi et orbi que la parole a été donnée à l’homme pour cacher sa pensée.

C’est que ce petit né malin, derrière un cynisme de façade, cache, comme un jour me le fit remarquer Gertrude Stein, son horreur de l’intimité3. Les bouts rimés, les farces, autant de masques. Il est d’usage de s’attendrir à la pensée des larmes qui se cachent derrière le rire. Pour nous, qui ne voulons nous laisser prendre à ces pièges primaires de la sensiblerie, contentons-nous de noter que tel ou tel, jouent-ils les familiers, la condescendance aristocratique de l’un, la bonhommie vulgaire de l’autre ne sont que les deux aspects d’un même esprit de méfiance et de défense.

Classe, classeurs, classements, classifications, tout, dans ce temps et dans ce lieu, révèle, au sens le plus photographique du mot, cette mentalité bourgeoise qui veut que soient habillées de boiseries néo-Louis XVI, les coffres-forts.

La main de fer dans le gant de velours : sous de pimpantes (?) vêtures, de l’acier, du blindage, des cloisons étanches. Concepts et idées réflètent, dans l’homme, le monde extérieur et son hypocrisie, elle-même, aussi bien ordonnée que la charité dont l’Eglise et sa fille aînée, jamais ne se lassent de répéter que, pour qu’elle soit vraiment bien ordonnée, elle doit commencer par soi-même.

Soi-même.

Nous y sommes revenus ou plutôt, nous n’avons pas cessé d’y être, nous y restons, chacun reste sur son quant à soi. La notion de personne, de par son caractère sacré, se trouve opposée à toute recherche qui lui serait dangereuse. Sont invoqués, à tour de rôle, le sens commun, la religion. Les opportunistes, de Vautel à Massis, jamais, ne se sont trouvés à court.

La liberté, la volonté, du moins telles que professeurs et curés les conçoivent, en enseignent la pratique à leurs élèves, à leurs ouailles, ne sont que moyens d’autocratisme. Au sortir de sa classe de philosophie, le premier freluquet venu opposera, continuera d’opposer, toute sa vie, le subjectif et l’objectif, ce qui lui permet de se reconnaître tabernacle de quelques principes éternels. Les autres, il les assimile aux choses, à ces choses qu’il a jugées a priori, une fois pour toutes, d’essence inférieure et juste bonnes à être possédées.

De cela encore, nous avons la preuve dans une de ces métaphores, qui, fussent-elles du plus strict XVIIe, n’en trahissent pas moins leurs auteurs, et, avec ces auteurs, qui les admire.

Ainsi la France de Guizot (l’homme du poétique conseil : enrichissez-vous), celle du Poincaré dont la barbiche tabou d’une petite érection impérative sut mettre fin à la dégringolade du franc, la France de ceux-là et des autres, alors même que son légendaire bas de laine, peu à peu, se métamorphose en bas de soie artificielle, demeure assez économe de mots, images, sentiments et idées, pour continuer à ne vouloir reconnaître son poète (?) classique de l’amour en nul autre que Racine.

En effet, une nation dont la morale n’a cessé d’obéir au grand principe : un sou est un sou, comment n’aimerait-elle point à se rappeler qu’en un temps reconnu pour celui où s’exprima le mieux son génie, le peintre officiel des passions, admis à la cour du Grand Roi, dans la théorie des princesses, les unes, larmoyantes, les autres vindicatives, mais toutes uniformément chargées de falbalas, jamais ne reconnut par la bouche de leurs majestueux amants, que des objets de désir.

AMOUR DIVIN ET AMOUR-PROPRE

Des expressions de cette farine devenues monnaie courante, on s’imagine à la suite de quelles piètres pratiques l’amour a bien pu, dans l’idée que s’en font les hommes, se recroqueviller au point de prendre en béquille, de tels qualificatifs.

La rage possessive s’obstinait à voir, jusque dans la créature préférée une simple chose à prendre.