Et certes, pour que les affirmations :
Tu es ma chose, je te possède et les acquiescements : Je suis ta chose, prends-moi, fussent
devenus des cris réflexes de la jouissance, il
fallait bien que l’inégalité eût été, une fois
pour toutes, admise entre et par les éléments
du couple. D’où notion d’un amour esclavage,
lequel, avec ce qu’il sous-entend de remords
de la part du maître-abuseur, de ressentiment
de la part de l’esclave-abusée, devient vite
amour-enfer. Alors, à nous les formules incandescentes :
Brûlé de plus de feux que je n’en allumais.
Malgré le ton haute époque, cet alexandrin
pyrogène n’en sent pas moins le cochon grillé.
La communion que les êtres, entre eux, se
défendent, apparaît, à la lumière de leur désespoir délirant, une interdiction que seule,
peut lever, et pour des fins surnaturelles, la
vertu d’un sacrement.
Règne des Maintenon, et encore, ces rusées
commères ne peuvent-elles, malgré leurs conformismes social et religieux, viser qu’à des
mariages morganatiques. La veuve Scaron,
objet à dignifier Louis XIV, comme Louis XIV
était objet à dignifier Dieu, à travers ce
couple, nous suivons la chaîne des asservissements.
L’idéalisme caméléonesque, sous ses diverses incarnations, décidait toujours chacun
à se penser, à se conduire comme s’il était
noumène parmi les phénomènes. Qui s’estime
bloc imperméable, souverain, ne s’en désagrège pas moins, parmi le clapotis de reflets.
Impressionisme aristocratique, sans rien de
vivant, sous la peinturlure. Règne des petits-maîtres. Maîtres de quoi, au fait ? Maîtres de
soi qu’ils disent, maîtres de soi, comme de
l’univers, se plairont-ils à déclarer en langage
cornélien, maîtres à peine, en vérité, d’un de
ces détails, dont Engels constatait que, pour
les connaître, nous sommes obligés de les détacher de leur enchaînement naturel ou historique, de les analyser individuellement, les
uns après les autres, dans leurs qualités, dans
leurs causes et effets particuliers.
Or, cette obligation de détacher, l’opportuno-individualisme a eu tôt fait de la diviniser.
Qui, de l’ensemble originel, détache, pour
l’étude, un élément, ne tardera point à juger
cet élément (et comme de l’ensemble, l’homme
commence par s’extraire lui-même on voit à
qui va sa première adoration) doué de vie en
soi, et ainsi, lui accordera la priorité, sans
doute même, pouvoir absolu sur l’ensemble
dont il est extrait. Ce qu’on offre, en fait
d’idées générales, n’est donc le plus souvent
que la dictature d’un détail, au gré de tel bon
vouloir, à tel moment donné. Il n’y a pas de
technicien qui n’ait vu dans la pointe de son
minuscule savoir, le cap, dans sa personne, le
phare de l’Humanité. Chacun fera son humeur
juge en dernière instance. Selon l’état du foie,
ce sera donc le je-m’en-foutisme épanoui ou
le fanatisme qui offre, d’ailleurs, l’alternance
de ses contraires, à tous les Clovis que le premier évêque venu sait persuader de brûler ce
qu’ils ont adoré, d’adorer ce qu’ils ont brûlé.
Mais personne, jamais, ne manquera d’avoir
bonne opinion de soi. Le plus banal considérera comme caractéristique sa banalité même.
Nul ne risquera de se dire ce que Feuerbach
constatait, de toute évidence : Je suis un objet
psychologique pour moi-même, mais un objet
physiologique pour autrui.
Engels a écrit : La décomposition de la nature en ses parties intégrantes, la séparation
des différents phénomènes et objets naturels
en des catégories distinctes, l’étude intime des
corps organiques dans la variété de leurs formes anatomiques, telles étaient les conditions
essentielles des progrès gigantesques qui, dans
les quatre derniers siècles, nous ont portés si
avant dans la connaissance de la nature. Mais
cette méthode nous a légué l’habitude d’étudier les objets et les phénomènes naturels
dans leur isolement, en dehors des relations
réciproques qui les relient en un grand tout,
d’envisager les objets, non dans leur mouvement, mais dans leur repos, non comme essentiellement variables, mais comme essentiellement constants, non dans leur vie, mais dans
leur mort. Et quand il arriva que, grâce à
Bacon et à Locke, cette habitude de travail
passa des sciences naturelles dans la philosophie, elle produisit l’étroitesse spécifique
des siècles derniers, la méthode métaphysique.
Etroitesse spécifique aussi de ce siècle, méthode métaphysique encore souveraine de par
le monde capitaliste, où les puissants savent
qu’il faut diviser pour régner. N’est-ce point
d’ailleurs afin de se posséder que l’homme se
divise en corps et esprit4, puis, divise son
esprit en des catégories dont chacune, à tour
de rôle, prend, contre les autres, un pouvoir
dictatorial, alors qu’elles ne peuvent effectivement, rien l’une sans l’autre. La raison a
trahi l’esprit, et, l’a trahi jusqu’au jour où
l’esprit, pour ne point sacrifier son tout à une
de ses parties, se déclara, lui-même, contre
la raison.
Dans le premier manifeste du surréalisme
Breton, dès 1924, avait constaté : Le rationalisme absolu qui reste de mode ne permet de
considérer que les faits relevant étroitement
de notre expérience. Les fins logiques, par
contre, nous échappent. Inutile d’ajouter que
l’expérience même s’est vu assigner des limites. Sous prétextes de progrès, on est parvenu à bannir de l’esprit tout ce qui peut se
taxer, à tort ou à raison, de chimère. C’est par
le plus grand des hasards, en apparence, qu’a
été récemment rendue une partie du monde
intellectuel et de beaucoup la plus importante, dont on affectait de ne plus se soucier.
Il faut rendre grâce aux découvertes de Freud.
Sur la foi de ces découvertes, un courant d’opinion se dessine, à la faveur duquel l’explorateur humain pourra pousser ses investigations.
Ici, Breton se rencontre avec Hegel, pour
qui ce n’est pas la faute de l’intellect si on ne
va pas plus loin. C’est une subjective impuissance de la raison qui laisse cette détermination en cet état.
Subjective impuissance dont le subjectivisme, à forme classique ou romantique,
trouve encore moyen de se réjouir. L’être
s’identifie à la pensée et dans sa pensée voit,
avant tout, sa raison d’être. Le je pense donc
je suis fut la clé de voûte de toutes les architectures dans le vide. La République, selon
M. Thibaudet a trois visages. De même, réalisme, individualisme, idéalisme étaient les
trois têtes de l’auto-amour, de l’amour-propre,
qu’ils disent, comme si l’autre, le vrai, l’uni
que, était sale.
LE SAC A FACULTES
Donc, chacun de se monter en épingle, soi
et les poussières de choses, d’idées qu’il a
balayées de leur contexte vivant, pour se les
approprier et ne les estimer qu’en fonction de
l’obéissance qu’elles mettront à devenir
siennes.
Sanctification de la propriété..
Nul espoir de synthèse.
Entassement de spécialisations qui rappelle
la métaphore des harengs dans la boîte à sardines.
Après avoir opposé l’homme au tout dont
elle l’a extrait pour son plus grand orgueil,
contre l’homme lui-même, la manie analytique va s’exercer. Hegel, en son temps, avait
déjà ridiculisé cette manière de ne voir dans
l’esprit qu’un sac à facultés. Mais l’ample sa
gesse de la dialectique n’a pas eu raison des
mesquineries diviseuses. La personne à soi
condamnée, étanche aux autres, n’a même pas
la compensation de se sentir bloc. En elle,
tout se fractionne, se démonte, mais ses pièces
détachées collent, adhèrent à l’instrument, à
la méthode qui les ont détachées les unes des
autres. Elles en viennent à faire corps avec
les râpes métaphysiques, les vilebrequins de
l’analyse.
La reine d’Angleterre n’avala-t-elle pas son
parapluie, afin d’avoir la certitude qu’elle apparaîtrait toujours incroyablement droite,
donc majestueuse aux yeux de ses sujets ? Chaque partie du tout mental a trouvé sa place
dans le carnaval des mythologies les plus hybrides, les plus monstrueuses.
Et pas l’ombre de ces prétextes, symboles
ou, au moins, à la rigueur, excuses de rapidité
à la course, copieuses virilités, dont eurent,
au temps païen, l’élémentaire politesse de se
mettre en quête, sirènes, centaures et faunes.
Les poissons-scies de l’intelligence grincent
tout leur saoul et détaillent n’importe quoi sur
leur chemin.
Que tel individu, naisse doué d’un mode
d’expression déterminé, tout va conspirer à le
vouer à ce mode d’expression, donc à le limiter sans droit de les outrepasser à des recherches purement formelles.
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