Et cela, encore, au cas où il serait un extrémiste et voudrait apporter du nouveau, dans le petit carré assigné à son auto-culture.

Ainsi, certaines superstitions familiales vouent les enfants au bleu et au blanc. Ces enfants qui n’ont droit, en fait de couleurs, qu’à celles de la Vierge Marie, peuvent, sans abus de confiance métaphorique, signifier tout ce qu’il entre de restrictif dans l’idée de vocation, puisqu’elle est non la chance d’aller à quelque point de nouvelles vues, par un chemin modeste, mais l’interdiction de regarder hors de ce chemin, qui, d’ailleurs, se termine toujours en cul-de-sac.

On a beau se prétendre explorateur, on ne s’en cogne pas moins à des théories de mort, d’une mort hypocritement maquillée aux couleurs de la vie, et dont la sagesse est vantée, comme si un cadavre pouvait avoir quelque mérite à ne point gambiller.

Au bout du compte, on en vient à voir dans les sens, non plus un éclairage à très variées et concordantes lumières, mais une marqueterie d’entités, dont, un point plus éclatant rendrait négligeables les autres, tant et si bien que les yeux d’un peintre mis sur un plat demeure raient toujours les yeux de ce peintre, et, de même, l’oreille d’un musicien, pavillon et arrière-boutique détachés de la tête et rangés dans un écrin ouaté.

A TITRE D’EXEMPLE

Né au temps des corsets (il n’est pas de poèmes qui m’ait ému comme celui-ci de Breton : Corset mystère, ô mes belles maîtresses) j’avais une mère qui n’en portait point.

Bien que, dans sa manière d’être et de faire, tout me parût aller à l’encontre du juste, je me sentais solidaire de sa tournure et de ses actes. En cela, d’ailleurs rien de quoi sur prendre, puisque chacun sait que le fil au nombril le plus ténu résiste mieux que le fil à la patte, le plus solide.

Donc, tandis que le néo Louis XV sévissait, de toute sa folie, dans la chaussure, ma mère portait des souliers plats. Par l’excès de leur honnêteté, ses bas imposaient le désir de leurs consolants contraires, les dentelles d’abord noires et collantes, puis blanches et mousseuses, dont les gommeuses s’embellissaient de l’orteil à la cuisse. Sa lingerie, à peine festonnée, injuriait les froufrous, mais les autres femmes se vengeaient à coups de robes aussi doucement collantes que peau d’anguilles. O dame de chez Maxim’s arrosée de patchouli, empanachée, les nichons horizontaux, pourquoi étais-je le petit d’une femme dont les guimpes, les manches ne faisaient jamais grâce à la nuque, la gorge, les coudes, les poignets.

A des platées de lentilles, de haricots, de pois cassés je comparais les étoffes anglaises dont elle me grattait les mollets. Et d’ailleurs, comment aurais-je pu être tenté de m’asseoir sur les genoux d’une femme qui, elle-même, n’avait recours aux chaises que pour donner un double spécimen de l’angle droit. Aussi, lui préférais-je, parce que mieux complaisant à mes nostalgies pré-natales, un fauteuil de velours rouge. Sans nul vivant giron rococo, soutaché, satiné où me nicher, je n’osais, tout de même, point, parmi les passantes, chercher une, la créature à honorer d’un culte total. Ma chair eût voulu rendre hommage à la chair dont elle était issue. Mais rien à faire. Donc, pour ne point trahir pleinement celle à qui eût aller toute mon adoration, dans chacune des femmes, je ne cherchais pas plus d’un prétexte, d’une occasion à s’émouvoir. Ainsi, devenais-je un petit analytique aussi malheureux, aussi grognon que les analytiques adultes. La joie entière de m’écraser le nez contre un corsage mystérieux, de caresser un velours, longtemps, je continuai à ne vouloir m’en saouler qu’à l’ombre de celle qui, juste ment, ne pouvait me l’offrir, puisque ces cor sages n’étaient de mystère, ni de velours, ses jupes.

Ce dilemne avait déjà exaspéré mes six ans, quand on décida de me donner une maîtresse de piano. Le mot maîtresse me plongeait dans le ravissement, depuis certaine phrase de mon père où il m’était apparu lourd de bonheurs sous-entendus. Le piano jouait un rôle restrictif qui ne me plaisait guère, et d’autant moins que notre piano était un piano crapaud, un piano eunuque, un piano sans queue, dont ma mère qui passait de longues heures en sa compagnie, n’avait certes pas à craindre qu’il la violât.

Ma maîtresse de piano avait un chapeau à plumes on ne peut plus amazone, et, l’enlevait-elle, c’était pour révéler une architecture de boucles oxygénées dont elle couronnait son visage très maquillé. Elle regardait l’heure à un bracelet montre extensible (objet alors fort rare), et, très volontiers pour ma grande joie (à nous le symbolisme sexuel) sa main allait et venait à travers ce cercle complaisant. Comme je me plaisais à imaginer la peau que les autres se plaisaient à cacher, mon adoration ne connut plus de bornes, le jour qu’elle vint, pour la leçon, vêtue d’une robe dont la transparence révélait un fourreau de couleur chair. Du coup, je décidai qu’elle se promenait nue sous des voiles et résolus de devenir un grand musicien en son honneur, en l’honneur d’elle qui était la musique elle-même, c’est-à-dire un mélange de pleureuses, bijoux, inquiétants, accords, arpèges, triolets, pédales appuyées, toutes choses qui me vengeaient de leurs contraires, en ma mère incarnés.

Je m’appliquai, fis de gigantesques progrès, et peut-être, serais-je devenu une sorte de Paderewsky, si l’imprudente n’avait répondu à ma famille qui la félicitait : mais ce petit est une oreille...

Une oreille ; était-ce donc de ma seule oreille que je l’adorais, moi qui rêvais d’un monde baigné dans la lumière de son satin chair. Une oreillle, parce que je ne voulais pas être une simple oreille, je renonçai à mon oreille. J’oubliai, d’un coup, les notes, le doigté, le morceau que je savais par cœur. Après six ans, j’en sus moins qu’au bout de trois semaines. Ainsi, la spécialisation ampute et ampute de cela même, au nom, au profit de quoi elle prétend amputer.

APRES L’HUMANISME, LE REALISME

 

Sans prise, sans action sur l’univers, l’analysto-métaphysicien, dans le détail, qui lui semble un peu moins menaçant, un peu moins incompréhensible, se creusera une petite cachemite d’où il se réjouira, et d’autant mieux, qu’il verra, imaginera les autres errant à l’aventure.

C’est le suave mari magno de Lucrèce qui, du rivage, aime à contempler les naufrages en plein océan.

Rocher païen ou Eglise catholique, les lieux d’asile et de salut, vus de la mer ou de la rue, défient ceux que la mauvaise fortune, le désir d’aller plus loin, condamnèrent à chercher gouttes et brindilles de soi-même, écumes et bribes de sensations, vapeur et paillettes d’idées. Le petit nombre exploiteur ne comprend pas que la fatigue, la misère, le désespoir du plus grand nombre exploité sont autant de termites dans leurs privilèges. C’est à croire que tous ces détails amoncelés doivent, seulement, servir à masquer, de leur ombre, la loi d’universelle réciprocité. Les intellectuels, pour ne point effrayer la société capitaliste, n’ont qu’à faire semblant de se perdre dans le labyrinthe des ergoteries causales. A ceux qui les auront suivis, et, soudain, peut-être, s’inquiéteraient de tous ces détours, ils auront toujours la ressource d’offrir, comme mot de passe, l’humanisme. Pour signifier leur neutralité bienveillante (bienveillante à qui, au fait ?), ils ont revêtu des manteaux couleur de murailles et se confondent ainsi avec tous ces pignons restrictifs, autour de quoi, ils rôdent.

On ne saurait les comparer qu’aux seuls insectes dont la prudence mimétique leur vaut de s’identifier au milieu.

Ne point tenter d’agir sur le monde extérieur, l’accepter tel qu’il est, soi-même, accepter de devenir tel qu’il est, par hypocrisie, opportunisme, lâcheté, se camoufler aux couleurs de l’ambiance, ça c’est du Réalisme.

Aussi, parallèlement à la béatification dont elle a récompensé Térence, l’Eglise d’un petit réaliste a-t-elle fait un grand Saint. Je parle de Thomas d’Aquin.

Le Réalisme asservi à l’apparence momentanée, voilà le revers de la médaille, le prix dont se paie l’idéalisrme.

Par la réalité dont leur réalisme rageur veut imposer la notion, le culte, les pères et les fils de l’Eglise ne contredisent-ils point leurs autres affirmations, quant au spirituel, dont ils n’ont de cesse qu’ils n’en aient affirmé la primauté.

Primauté du spirituel, écrit Jacques Maritain.

Les privilégiés du monde capitaliste, consciemment ou non, – mais qu’importe, ici, le degré de leur clairvoyance, de leur sincérité ? – cherchent des arguments, des prétextes pour ne point renoncer aux avantages d’une idolâtrie, dont ils estiment qu’elle prouve en même temps que leur foi, leur bonne foi, et, de ce fait, doit leur permettre de frustrer la masse de son devenir.

Pratiquement, ils exigent de toute vie qu’elle se laisse étioler là, en un point fixe du temps, de ce temps que les dernières royautés parlementaires et républiques conservatrices rêvent d’arrêter, à leur profit, comme un soleil de la bible.

 

LE SURREALISME

Afin de situer historiquement le surréalisme, il importe de constater que ce mouvement (avant même qu’il n’ait pris place dans le cadre vivant du matérialisme dialectique5 » avait déjà gratifié d’une jolie petite pluie de charbons ardents, le bazar de la Réalité capitaliste et cléricale, de cette Réalité que prétendait nous imposer, à jamais, le réalisme à forme agressivement bondieusarde ou laïque, du scepticisme passif à la fanfaronnade conformiste.

Le bazar de la Réalité, avait bien les mêmes titres à l’incendie que celui de la Charité, son jumeau en hypocrisie où voici plusieurs lustres, périt la fine fleur de l’aristocratie. Il aura donc eu, comme ce dernier, ses profiteurs, ses victimes et aussi ses héros. Fils et filles soumises aux plus grossiers et actuels de leurs intérêts, vestaux et vestales d’un culte, hors des limites duquel, ils se sentiraient perdus, moins que morts, ils voudraient croire encore que, de tous les décombres, va renaître un temple Phœnix.

Ils se brûlent les doigts, se rôtissent ce qu’ils ont de plus doux en fait de petite peau douce. Qu’importe. Ils font leur purgatoire sur terre. Avec l’espoir de sauver et leurs âmes et la classique, bornée, imperméable, pétrifiée, notion de personne, sans laquelle, ils ne sauraient vivre.

De l’obscurantisme, est né, a vécu, continue de vivre l’idée de Dieu. Or, Dieu, tant qu’il n’aura pas été chassé comme une bête puante de l’Univers, ne cessera de donner à désespérer de tout, et d’abord de la connaissance, la connaissance appliquée, la Révolution qui, seule, peut chasser Dieu. Dans ces constatations, les douteurs professionnels verraient autant de têtes de dilemme. Mais qu’importe, l’hydre scolastique. Comme l’a écrit Lénine, ce n’est point à coups de syllogismes qu’on finira de venir à bout de l’idéalisme.