D’immenses étendues sont aujourd’hui, purifiées de Dieu. L’U.R.S.S. vigoureusement athée, voici trois lustres, était encore la Russie des pogroms, la Sainte-Russie orthodoxe et tzariste, digne alliée de cette belle France, où sous le couvert d’une feinte séparation, l’Eglise et l’Etat, mieux que jamais sont de connivence pour organiser, à coups de sabre et de goupillon, avec l’art militaire, civil et religieux que l’on sait, la répression policière dans la métropole, et aux colonies, des jolis petits massacres d’Indo-Chinois et des expéditions punitives çà et là.

Les missionnaires (se rappeler le pavillon des missions à l’Expositon coloniale et les femmes-curés qui, dans les cases, faisaient travailler les négresses, sous l’œil ravi des badauds) ont pour mission d’exhorter les persécutés à continuer de se laisser persécuter. Aussi, ministres de Dieu sur la terre, travaillent-ils à mettre dans les esprits l’espoir d’un monde meilleur.

Les prétentions à l’objectivité de tant d’intellectuels, les soi-disant neutralités littéraire, poétique, philosophique et autres ne sont, au bout du compte, que de sournoises mais solides alliances entre qui fait profession de penser et un état des faits, qui, justement, donne à penser, que la pensée devrait com mencer par renoncer aux habitudes de petit confort et d’assoupissement, qui, lui ont permis de tolérer l’intolérable.

Le surréalisme, par le truchement de telle ou telle œuvre individuelle et encore et surtout, par son activité collective, ses enquêtes sur le suicide, la sexualité, l’amour, par ses très justes injures à la France lors de la guerre du Maroc, par ses tracts à l’occasion de l’Exposition Coloniale, de l’incendie des couvents par les révolutionnaires espagnols, le surréalisme a mis les pieds dans le plat de l’opportunisme contemporain, lequel plat n’était, d’ailleurs, comme chacun sait, qu’une vulgaire assiette au beurre.

Le surréalisme s’est attaqué, s’attaquera aux problèmes qui ne sont éternels que par la peur qu’ils n’ont cessé d’inspirer à l’homme. Ses propres faits et gestes et œuvres ne l’ont pas arrêté en chemin, ou plutôt, ceux d’entre les surréalistes que l’ambition, la sottise, le narcissime ramenèrent aux bords des marais complaisants, de ce fait, redevinrent des littérateurs, à l’image de tous les littérateurs, c’est-à-dire occupés à chercher, dans les premières flaques venues, les reflets morts de leurs piètres personnes, au lieu d’accepter de laisser jouer, à la surface et au fond d’eux-mêmes le monde, ses lumières, sa vie.

C’est d’ailleurs par une attaque contre tout ce que la théorie de l’art pour l’art avait déifié, à propos de choses écrites et peintes, que Dada, précurseur du surréalisme, avait commencé le travail de théoclastie.

Extraire des abîmes ce que l’homme avait sacré trésors, justement, parce que la masse d’ignorance, d’oubli, de refus qu’il avait mis entre sa conscience et ses soi-disant trésors, lui permettait, seule, de les considérer comme tels ; amener au monde des phénomènes par les moyens qui lui étaient propres (sommeil, transcription de rêves, écriture automatique, simulations de délires nettement caractérisés) ce que, sous les épaisseurs dont elle l’avait enveloppé, chaque créature considérait comme son noyau nouménal ; remuer l’inconscient, jusqu’alors taupinère où les désirs de l’homme se recroquevillaient, s’estropiaient dans la crainte des avalanches homicides ; dans la terre qui semblait condamnée à l’éboulis, tracer de larges routes claires, lumineuses ; livrer à la circulation tout ce qui était zone interdite ; désigner de nouvelles voies de communication aux esprits qui voulant faire bon visage à mauvais sort, s’efforçaient de tirer parti, orgueil d’un isolement dont ils feignaient de prendre la stupide misère pour une pathétique magnificence ; ces points de vue étaient aussi des points de rencontre avec Marx et Engels, pour qui la chose en soi, au lieu de rester l’insaisissable de la philosophie kantienne, le tabou des derniers retranchements métaphysiques devait, au contraire, se métamorphoser en chose pour les autres.

Ainsi, de l’humain desséché, le surréalisme ressucitait l’homme. L’homme qui ne peut se sentir vivant que dans un monde vivant.

Dans le premier manifeste du surréalisme, Breton avait écrit :

Si les profondeurs de notre esprit recèlent d’étranges forces capables d’augmenter celles de la surface et de lutter victorieusement contre elles, il y a tout intérêt à les capter d’abord, pour les soumettre ensuite au contrôle de la raison.

Cette volonté de ne point se laisser perdre les forces, n’était-ce point elle qui faisait écrire à Marx, dans sa deuxième thèse sur Feuerbach :

La question de savoir si la pensée humaine est objectivement vraie est une question pratique et non théorique. C’est dans la pratique que l’homme doit démontrer la véracité c’est-à-dire la réalité, la puissance, l’en-deça de sa pensée. Toute discussion sur la réalité ou l’irréalité de la pensée est purement scolastique.

 

DIEU ET SES MURS

Pas une école, mais un mouvement, ni musée, ni anthologie, mais, au contraire, dès sa première phrase, courant d’air qui balaie les musées, éparpille les anthologies, le surréalisme qui entendait ne sacrifier ni le rêve à l’action, ni l’action au rêve, a, d’essence dialectique, travaillé à leur synthèse.

Bouquet de forces et d’idées, les plus et les mieux subversives, s’il a commencé par crever les trop faciles écrans des neutralités poétiques et intellectuelles, il ne va pas s’arrêter en chemin. Il s’attaque aux murs, à tous les murs, et qu’on m’entende, les au propre et au figuré, murs de pierres idéales, d’idées pétrifiées, obstacles à la marche de l’homme, contraintes à son corps, outrages à son regard, défis à sa pensée.

Les murs, mais ceux des casernes, des prisons, des Eglises n’osent-ils point porter, en toutes lettres, les trois admirables mots que tant d’injustices faites monuments, semblent avoir voulu rendre à jamais dérisoires : Liberté, Egalité, Fraternité.

Il est donc de bonne tradition que le ciel, ce couvercle souillé par tant d’infâmes symboles divins, prête ses étoiles à M. Citroën pour qu’il les accroche à la tour Eiffel, ainsi métamorphosée en suppositoire à publicité. Joli spectacle pour distraire les nuits des sans-abri. Le pain et les jeux. on connaît le programme du grossier et sinistre empire romain au temps de sa décadence. Des croutons et Dieu (cf. le reportage de S. Georges dans l’Humanité. Déc. 1931) voilà ce que de nos jours une dérisoire charité d’inspiration religieuse, offre aux chômeurs. Chaque miette se paie d’un cantique, et cela, au nom de Dieu, ce complexe d’idées nées de l’assujetissement de l’homme à la nature affermissant cette oppression, assoupissant la lutte de classes (Lénine).

Et ici, sans nous perdre dans des subtilités, constatons que le monde n’est devenu une telle cochonnerie que parce qu’il a été si bien, si totalement, empli de Dieu. Mais laissons la parole à André Breton :

Parler de Dieu, penser à Dieu, c’est à tous égards, donner sa mesure. Et quand je dis cela, il est bien certain que cette idée, je ne la fais pas mienne, même pour la combattre. J’ai toujours parié contre Dieu et le peu que j’ai gagné au monde n’est, pour moi, que le résultat de ce pari, si dérisoire qu’en ait été l’enjeu (ma vie) j’ai conscience d’avoir pleinement gagné. Tout ce qu’il y a de chancelant, de louche, d’infâme, de souillant, de grotesque passe, pour moi, dans ce seul mot de Dieu. Dieu, chacun a vu un papillon, une grappe de raisin, une de ces écailles de fer blanc, en forme de rectangle curviligne, comme les chaos des rues mal pavées en font tomber, le soir, de certains camions et qui ressemblent à des hosties retournées, retournées contre elles-mêmes. Il a vu aussi des ovales de Braque et des pages comme celles que j’écris et qui ne sont damnantes, ni pour lui, ni pour moi on peut en être sûr.

Quelqu’un se proposait dernièrement de décrire Dieu comme un arbre, et moi, une fois de plus, je voyais la chenille, je ne voyais pas l’arbre. Je passais, sans rien apercevoir, entre les racines de l’arbre comme sur une route des environs de Ceylan. Du reste on ne décrit pas l’informe, on décrit un porc et c’est tout. Dieu qu’on ne décrit pas est un porc.

Or ce porc, on l’a, il ne se pouvait mieux, logé.

Aujourd’hui, ceux qui ne veulent plus de la bête demandent pitié pour l’étable, pour les trésors dont on l’a meublée. Mais, conserver les témoins d’une servitude, c’est encore se complaire au souvenir de cette servitude, donc, fatalement y retomber. "Les appels du libéralisme au sentiment du pittoresque, les pétitions en faveur des monuments historiques, les lois pour la conservation des dits monuments – pour la conservation tout court, sans plus, faudrait-il dire – on sait ce qui se cache sous ces précautions oratoires, et, comment, dans la tanière préservée, reviendront rôder ces êtres en dehors du temps et de l’es pace créés par les clergés et nourris par l’imagination des foules ignorantes et opprimées, dont, Engels déclare qu’ils ne sont que les produits d’une fantaisie maladive, les subterfuges de l’idéalisme philosophique, les mauvais produits d’un mauvais régime social.

Ce sont d’ailleurs les privilégiés, les maîtres du mauvais régime social qui sollicitent, invoquent le goût de l’antiquaille. Ces messieurs veulent que soit considéré de sang-froid ce qu’un sang, tant soit peu chaud ne saurait se rappeler sans flamber.

Au reste, le désir de l’homme de replonger dans son passé, dans du passé indéfini, ne peut naître que de cette obsession de la mort à quoi ont su le contraindre les Eglises, et surtout la catholique, en lui escamotant son devenir (le sien propre et celui de son espèce) pour le sempiternel rappel de son périr.

Homme pitoyable, homme entre les murs, toi dont l’enfance, par peur de la nuit, de l’inconnu, se cachait sous les draps, il y a de tels fouillis, entassements, juxtapositions autour de toi, que tu cognes, t’endoloris dans les mesquines venelles laissées à tes désirs.

Mais, parce que, depuis Pascal, les petits analytiques, dans leurs tortures, toujours invoquent l’esprit de finesse, tu te réjouis des impasses, au fond desquelles, les intelligences courbées en deux, -en quatre, en douze, en mille (mais à quoi bon des chiffres, leurs contorsions sont infinies) se crachotent morceau par morceau. L’asthme de Proust quel symbole !

 

DU PITTORESQUE ET DES BORDELS

Le pittoresque humain, entendez les misères, les plaies de l’humanité.

La tranche de vie, son sang dégouline aux commissures des lèvres de qui s’en repaît. Il y a du cannibalisme dans les moindres curiosités. Etudes de mœurs et de paysages. Etres et sites.