Du point
de vue religieux, ce conflit trouvait sa traduction dans le divorce de la chair et de l’esprit,
thème à variations pathétiques, utilisé encore
par les romanciers à succès.
L’âme et la peau : d’une part l’Eglise où
l’on prie, le salon où l’on cause, et d’autre part,
le bordel où l’on baise, bordel à domicile pour
Baudelaire, avec sa négresse, cette négresse
elle-même, croix du poète, croix d’ébènc,
croix à porter7 de même que, pour les
Croisés, les dames turques furent le bordel
sur le tombeau du Christ, ce qui valait bien
le poilu inconnu sous l’arc de triomphe.
Or, voici que, malgré les bobards dostoïevskiens sur la résurrection des filles perdues,
déjà, la condescendance, la politesse fabriquée et même un goût un peu particulier pour
les putains, nous semblent autant d’hypocrisies qui sanctionnent l’ordre établi, car il ne
s’agit ni de pitié, ni de l’hommage qui pourrait
bien représenter, à l’égard d’une créature socialement déchue, un bel envoi de sperme,
mais de la très élémentaire justice – ici simple
oubli des injustices codifiées – qui devrait
permettre de ne point prendre en considération, cette déchéance sociale.
Une telle attitude serait, paraît-il, pratiquement impossible, dans les états capitalistes
où tout est affaire de classe (les femmes, selon
Engels, origines de la famille, les peuples colonisés, donc l’humanité colorée, selon Lénine,
étant assimilés au prolétariat). Nouvelle raison de réduire à néant l’idéalogie imbécile
qui cause et sanctionne la dite déchéance
sociale. Et si, en attendant, est désirée, baisée, voire épousée quelque négresse de bordel,
que ni honte, ni vanité ne soient tirées d’un
commerce qui n’a besoin de visa, non plus
que d’excuse, puisque s’en trouve au moins
donné un plaisir épithélial à ne point dédaigner.
N.B. – Ne pas confondre la libération des
conflits sociaux avec la béatitude grossière
que le ciel bleu, le soleil valent aux natifs des
horizons spleenétiques, quand le soleil se met
à les chatouiller là où je pense.
DE LA VOLUPTE COLONIALE AU PATRIOTISME DE L’INCONSCIENT
La France coloniale, de saint Louis au duc
d’Aumale (lequel, soit dit en passant, a donné
ses nom et titre de noblesse à une des trente-deux positions particulièrement honorée dans
la géométrie bordelière), du duc d’Aumale
à Liautey, toute la France coloniale, la passée, la présente, la future, avec son cortège de
missionnaires-massacreurs, se devait n’est-ce-pas, Victor Hugo, de chanter les Orientales :
Sarah belle d’indolence,
se balance
La maquerelle, très Européenne et fière de
l’être, tape dans ses mains : Sarah, Sarah, allons vite au salon.
Une Africaine, belle d’indolence, dans sa
collection quel joyau ! et comme ça vous relève l’avachissement décoloré des autres
chairs. Et quel objet de désirs. L’objet de désirs, nous y voici revenus, et plutôt deux fois
qu’une, puisque la créature, par définition des
objets de désirs, grâce à la mise en scène de
l’amour vénal et organisé, a trouvé place dans
le cadre des désirs.
La négresse, dans les bordels métropolitains
où la confine la toute puissance du blanc, est
à sa place, comme sa sœur de bronze, porteuse d’électricité, à l’orée des escaliers à tapis
rouge et tringles d’or, expression si parfaite
du contentement de soi que ne cessèrent
d’éprouver le XIXe et le xxe naissant.
Et qu’elle n’ait pas le mal du pays !
Là-bas, dans le continent originel, avec ses
négrillons frères, des administrateurs, des
généraux, et qui sait ? peut-être même ce maréchal qui a si bien mérité sa gloire romaine,
ont joué, jouent ou joueront à Je t’encule et tu
me suces. Pourquoi la colère secouerait-elle
une famille qui a si bien réussi ? Que les touristes continuent donc à se réjouir de leur
tourisme. Dès la douane, et à plus forte raison,
hors de leur continent, de leur continence, ils
sentent tomber l’uniforme des contraintes.
Le Français, il est vrai, si telle ou telle raison l’empêche de quitter son pays, a pris
assez de goût à l’exotisme pour que les barnums de ses désirs lui servent quelques unes
de ces curiosités d’importation lointaine, qui
le dépaysent et lui donnent ainsi à penser
qu’il se renouvelle. D’où, succès des bals martiniquais, des airs cubains, des orchestres de
Harlem et de tous les tam-tam de l’Exposition
Coloniale. Les noirs sont aux blancs des
moyens, des occasions de se divertir, comme
leurs esclaves, aux riches romains du bas empire. Plus même besoin d’aller en Afrique. La
prostitution, à quoi le capitalisme livide contraint les noirs des deux sexes, aux abords
des places Pigalle de toutes les grandes villes,
offre ce que les oasis, en levant les interdictions des hontes européennes, vers 1900, révélait à l’Immoraliste, d’André Gide.
Or, une fois, en tête à tête avec la négresse
de bordel, si le petit bourgeois, au lieu d’emplir d’un morceau de sa nauséabonde personne, ce sexe, exquis négatif de celui trop
fécond de Mme son épouse, se contentait d’y
accoler l’oreille, comme il est coutume de procéder avec les coquillages qui portent, en eux,
le bruit de la mer, peut-être, malgré son
tympan revêche, entendrait-il une rumeur,
confuse encore, mais inexorable et annonciatrice, déjà, de l’effondrement de ses forteresses, de la cathédrale au bordel.
Et pourtant, les idées reçues toutes faites
préservent de voir et d’entendre ceux-là même
qui font profession de passer aux rayons X,
les créatures.
Ainsi, dans un des récents numéros de la
Revue française de psychanalyse, le biblio
graphe écrivait-il d’une analyse qu’elle tend
(sic) à prouver que les conflits sont les mêmes
dans la race blanche et la race noire. Le cas
n’est d’ailleurs pas probant (se hâtait-il d’ajouter) car il est à peine question de conflits
inconscients.
L’auteur de ce petit résumé, ni chair ni poisson, vise, sans nul doute, à l’objectivité scientifique. Il signale un travail de collègues et,
parce qu’il demeure dans le vague, l’atténué,
il croit avoir donné des preuves suffisantes
d’impartialité. Il tomberait de haut, ce très
subtil, à s’entendre dire, que son imprécision
n’est qu’un bigoudis, ajouté à tous les bigoudis de faux-semblants, une hypocrisie pour
empapilloter le classique dégueulis, quant à
l’inégalité des races.
Voilà comment la psychanalyse tenue, bon
nombre d’années, en suspicion par le corps
médical français, dès que les soigneurs de
l’âme ne peuvent plus l’ignorer, au lieu de les
contraindre à reviser l’idée qu’ils se font de
leurs individus, de l’état et du rôle plus ou
moins officiel qu’ils entendent y jouer, devient,
au contraire, un prétexte nouveau, dans l’ensemble sophistiqué, dont ils s’autorisent, pour
se dorloter, eux et leurs préjugés avantageux.
Par ce phénomène de détournement, une découverte récente, en l’occurrence celle de
Freud, vient au secours de tout ce dont il eût
été naturel de penser qu’elle allait le réduire
en poudre.
Au contact de certains doigts, les rares occasions de bonds révolutionnaires tournent
donc en eau de boudin.
A cette sauce, politiciens et intellectuels assaisonnent les extravagances qu’ils ont mission de faire gober à ceux qu’ils administrent
ou instruisent.
On connaît cette cuisine de petits et grands
mensonges bien mijotés. Que les experts plus
ou moins assermentés s’y entendent, et ils
auront l’oreille des juridictions (affaire Almazian) qu’ils s’y refusent, au contraire (affaire
Bougrat) et les tribunaux passeront outre.
Un faux témoignage de plus ou de moins,
qu’importe.
Tout s’arrangera, finira par des chansons,
tant que la bonne vieille gauloiserie tiendra
la queue de la poële.
Et elle connaît l’art d’accommoder les
restes.
Est-il question d’instinct sexuel ? vite elle
fait l’entendue, la grosse maline, la femme au
courant, et, d’un sourire salace, épice les déchets, carcasses, abatis sucés et resucés de la
vieille bique réactionnaire.
Elle sait suivre son temps, aussi, le plat du
jour, sera-t-il, d’ici peu, le patriotisme de l’inconscient. Elle en vendra très cher la recette
aux hostelleries régionalistes, aux wagons-restaurants Pullmann, où, tant de niaiseries dromomanes s’entassent.
On pensera au brouet des spartiates, à un
brouet relevé de sel attique, vrai régal pour
nos jeunesses, quand elles sortiront des écoles,
facultés, lycées où les maîtres du libéralisme
cauteleux et satisfait, leur auront ouvert l’appétit par un de ces petits coups de culture
générale, qui, en une seule gorgée, savent condenser l’art des ruses oratoires.
Mais que le monsieur bien élevé du xxe,
digne héritier de l’honnête homme du XVIIe, se
lèche, pourlèche les babines, il n’en garde
pas moins sa mesure, même aux instants de
délectation suprême, car il y a l’harmonie
française et sa sœur siamoise, l’éloquence
française, et leur cousin, l’humour anglais et
encore le charme slave, leur ancien béguin
et le mensonge allemand, leur ennemi héréditaire.
Or, que la géographie des qualités bonnes
ou mauvaises, présente, dans l’espace, somme
toute réduit, d’un petit continent, nombre de
différences et contradictions, toutes les haines
qui résultent de ce morcellement, dès qu’elles
se reconnaissent un intérêt commun, se coalisent, sous prétexte de civilisation à sauver.
Ainsi, le patriotisme de l’inconscient serait-il un patriotisme large, mettons européen,
pour plaire à la S.D.N. avec alliance américaine, mais d’Américains à visages pâles, et
non de couleur, puisque si certaine analyse
tend à montrer que les conflits sont les mêmes
dans la race blanche et la race noire, le cas
n’est d’ailleurs pas probant, car il est à peine
question de conflits inconscients.
MESSIANISME
Voici donc bouclée la boucle, fermé le cercle, cercle vertueux, dira-t-on, pour l’opposer
à la masse des vicieux. Les conformistes de
tout poil auront un nouveau mot de ralliement.
Et comme l’époque continuera de faire la
laïque, à seule fin de cultiver en plus grande
paix l’idéologie chrétienne, au messianisme
de s’en donner à cœur joie. Les hygiénistes
du corps et de l’esprit, dans une vague officielle de barbiches, binocles, chapeaux de panama, gilets de flanelles, bas-varices, ceintures
herniaires, suspensoirs flapis, plastrons, faux-cols, manchettes de celluoïd et autres accessoires du cotillon humanitaire, déferleront sur
l’Asie, l’Afrique et l’Océanie. Les tribus que
leurs prédécesseurs ensoutanés frustrèrent du
bienheureux état d’innocence, ils les examineront pour le plaisir de constater qu’elle n’ont
pas eu le temps de fignoler des complexes, dignes des métropolitains. Les évangélistes ont
eu beau mettre les bouchées doubles, en un
siècle, ou deux, ou même trois, on ne saurait
obtenir ces belles angoisses, dont, deux mille
années ont si joliment flétri la chair du monde
catholique.
Marx, dans sa définition de l’essence humaine, a fait place à l’ensemble des rapports
sociaux, et Freud prouvé que la dite essence
ne saurait, en aucun cas, se trouver confondue
avec la conscience qui est en prise, avec l’idée
qu’en peuvent donner les plaquages de la raison sur des apparences.
Or, au nom de la psychnalyse, contre elle
en vérité, on vient nous insinuer que les conflits pourraient bien se trouver à l’entière discrétion d’un inconscient variable de race à
race, d’individu à individu, faculté en soi
et la plus particulière de races, d’individus
donnés. Alors, il n’y aurait plus à tenir compte
du inonde extérieur, des circonstances qui furent les occasions, pour tel ou tel inconscient,
d’être affecté de tel ou tel conflit. Et l’on se
bornerait à la vie contemplative, à la passivité, à l’arbitraire, et au déni de justice.
Ainsi, du reste, en est-il aujourd’hui. Ainsi,
en sera-t-il, tant que, par peur du risque, ignorance ou bêtise congénitale, Messieurs les intellectuels demeureront les serins qui demandent des cages, pour, une fois entre leurs
barreaux, nous la faire à la nostalgique,
comme s’ils étaient des aigles.
Et ils essaient d’atteindre au vertige par
la contemplation de leurs nombrils. Et ils
déifient leurs nombrils. Et ils poursuivent la
tradition des auto-glorioles, non moins extra
vagants que le clergé mâle, quand, au plus
beau de son triomphe moyenâgeux, il se réu
nit en concile pour savoir si les femmes
avaient une âme.
Dans ce style de haute époque, à citer un
fils de la sainte mère l’Eglise, un dominicain,
dont la sœur (elle-même, femme-curé de qui
je reçus le propos, alors qu’elle me soignait
d’une maladie infantile) rapportait, à la plus
grande satisfaction de son orgueil familial et
confessionnel, que, du sol, tête levée, pour
cracher en l’air, de toutes ses forces, de tout
son héroïsme, sans crainte que ça lui retombe
dessus, il baptisait les idolâtres grimpeurs que
le spectacle de sa personne n’avait point décidé à descendre de leurs cocotiers : Je vous
baptise si toutefois vous avez une âme.
Ce nègre, dont on n’est pas sûr, dans les
milieux ecclésiastiques, en 1905, qu’il ait une
âme, et, en 1931, dans une revue de médecine
mentale spécialisée, que son inconscient soit
susceptible de conflits aussi distingués que
ceux du modèle courant, aux comptoirs psychanaltiques de la maison mère (et notez que
le Français dit peu pour sous-entendre beaucoup), en cas de travail forcé, de petite guéguerre on se le reconnaît pour frère, frère
cadet, s’entend, donc à guider de main ferme.
Ses droits, affirme-t-on, lui ont été reconnus.
Alors, que lui, à son tour, et un peu plus vite
que ça, scrognegneu, rende à César ce qui est
à César. Et bien entendu, la mise en pratique
de cette réciprocité sanctionnera l’axiome
préalabre, à savoir que :
Ce qui est au nègre = peau de balle et balais de crins, tandis que,
César (la société impérialo-capitaliste) possède l’universalité des droits, parmi lesquels,
bien entendu, celui de vie et de mort. Etat de
fait séculaire et que revigore la trahison de
n’importe qui, parmi les coloniaux, accepte
de servir des idéologies des colonisateurs ou
même de s’y soumettre.
JESUS (FAMILLE ET COMPLEXES, FAMILLE DE COMPLEXES. COMPLEXE DE FAMILLE)
Fixé au père et incurablement, à jamais,
puisque fils du père éternel, Jésus le femmelin
masochiste, qui, après s’être laissé giffler sur
une joue tend l’autre, n’était pas de ceux que
satisfait un simple petit retour dans le sein
maternel.
Il lui fallait remonter jusqu’au plus intime
de l’appareil génital du géniteur, en devenir
un morceau, mettons le testicule droit, puisque
la trinité peut, doit s’interpréter comme l’ensemble tripartite, quant à l’apparence, d’un
sexe mâle, une banane et deux mandarines,
dirons-nous, le style oriental ne voulant de
comparaisons que fruitières.
La Judée de Jésus, la conquête romaine,
l’avait, il est vrai, quelque peu désorientalisée.
D’où, justement, l’allure juridique du conseil :
Rendez à César... Rendez à Dieu... manteau de
Noë, mi or (César), mi azur (Dieu) qui couvre
le désir secret du Christ.
Dieu (on ne saurait trop répéter la définition de Lénine) Dieu, complexe d’idées né de
l’assujetissement de l’homme à la nature, Dieu
ruche à complexes, ses alvéoles ont beau être
enduites de promesses mielleuses, qui s’y
laisse prendre, se cogne, se déchire à autant de
parois que la Nature, sa nature lui en oppose.
Tous les mâles de cette ruche, sans doute, ne
songent point à devenir époux de la reine,
mais, depuis la plus haute antiquité, jusqu’à
cette très chrétienne année 1932, les idolâtres
de Vénus ou de la Vierge Marie, s’ils ne se
livrent à propos de pomme ou d’Immaculée
Conception à quelque petite guerre (8 entendent, au moins, trouver en eux des champs
de bataille moraux. Celui qui n’a point assez
de violence pour l’exercer à ses dépens, priera
quelque principe céleste et vengeur, de lui accorder la grâce d’une petite torture.
Des dynasties mythologiques à la sainte famille, parricide, yeux crevés, trahisons, péchés, remords, châtiments et martyre des victimes expiatoires, toute cette marmelade glaireuse et sanglante s’est prêtée à mille variations, Le thème central, unique n’a jamais
cessé d’être meurtres et mutilations.
Tandis qu’Œdipe, dans le sang de son père,
trouve la pourpre de son temps royal, et, dans
les bras de sa mère, s’initie à la volupté, Jésus,
lui, au contraire, de sa chasteté, de ses supplices, glorifie son père9.
Or, en vérité, ce dont il meurt, c’est d’amour
pour son père.
Lui, petit lambeau de sentimentalités diaphanes, il s’estime assez peu pour accepter de
souffrir, en l’honneur du mâle, son principe
congestionné d’omnipotence. Manière de voir
qui, du reste, coïncidant avec celle du jus
Romanum, donc, devait singulièrement aider
au triomphe du christianisme, dans une cité,
où, les pères avaient droit de vie et de mort
sur leurs fils.
Epris de ce que le père incarne de brutal,
le fils fait tout son possible, pour en arriver,
par les méandres évangéliques, à subir les brutalités des exécuteurs de la volonté impériale,
cette volonté impériale ayant été, au préalable, reconnue pour la traduction terrestre
de la volonté divine.
Avant l’apothéose masochiste, il y a eu,
certes, quelques divertissements, ce que
les Français nomment bagatelles de la
porte : flirt baptismal avec saint Jean-Baptiste, petite toilette intime et parfumée des mains des Saintes femmes, et surtout,
la Cène avec le pain (et le pain long, on sait
ce qu’il peut représenter et on sait aussi que,
jamais, les peintres qui firent ce repas, tant de
tableaux célèbres, n’ont posé, sur la table, des
petits pains fendus, symboliques, eux, du sexe
féminin.)
La psychanalyse ne perd point son temps
à lire, étudier le menu divin.
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