Vous voyez, il arrive fréquemment que trois personnes entrent par ici. Ensuite, deux d’entre elles prennent l’ascenseur pour redescendre et sortent par la porte de derrière.

SECOND JOURNALISTE. —

Et la troisième ?

LE CONCIERGE. —

La troisième, celle dont on pourrait penser qu’elle reviendrait par le même chemin qu’elle a pris pour entrer, celle qui pourrait tacher le cuivre de la poignée intérieure avec ses doigts couverts de sueur, celle-là ne ressort jamais. Celle-là reste pour toujours à l’intérieur. On lui donne un numéro. Ce numéro, on s’en souvient pendant un certain temps. Et puis on l’oublie. Vous comprenez, on en voit tellement passer. On a tant de nouveaux numéros à se rappeler qu’on est bien obligé d’oublier les anciens.

PREMIER JOURNALISTE. —

Ça fait froid dans le dos. Quand on sait ça — comment peut-on être capable de le supporter ?

LE CONCIERGE. —

On n’en est peut-être pas toujours capable. Mais il le faut bien. Et pourtant, il y en a qui ne se plaignent pas que ça soit ainsi.

SECOND JOURNALISTE. —

Quel genre de personnes est-ce que cela peut bien être ?

LE CONCIERGE. —

Les femmes de ménage, par exemple. Ça fait toujours une poignée de moins à astiquer. Et c’est beaucoup. C’est assez pour qu’elles en soient reconnaissantes. Notez bien qu’elles ne sont pas méchantes. Ce sont des personnes tout à fait normales, gentilles et comme il faut, avec leur brosse en chiendent et leur chiffon à poussière, mais je ne connais personne qui soit plus heureux qu’elles qu’on ne franchisse jamais cette porte dans l’autre sens.

PREMIER JOURNALISTE. —

On monte le grand escalier, au dehors, on pénètre ici, dans la chaleur, on passe devant votre table et on sent tous les murs qui vous dévisagent. On monte ces marches-là : une, deux, trois. Comme il doit avoir les jambes lourdes, celui qui les monte pour la dernière fois. Et puis, clac ! une porte en chêne s’ouvre tout d’un coup. On prend la poignée et on la tire vers soi. Et on a devant soi un couloir dont les ténèbres brutales vous étourdissent. La porte se referme derrière vous. Trop tard, dit la porte, trop tard ! Trop tard, disent les pas qui résonnent sur le dallage du couloir, beaucoup trop tard ! Les murs et les ténèbres vous engloutissent et tout devient silencieux.