Les bijoux qu’il contenait avaient été volés, puis rendus, mais par qui ? « Qu’en penses-tu ? » me dit ma mère. Je regardai les bijoux : plusieurs agrafes ornées les unes de pierres, les autres de petites aquarelles : « Je pense que voilà une injure du voleur ! il nous rend nos bijoux parce qu’ils ne valent rien. J’en aurais fait tout autant. – Ce voleur est un honnête homme, dit ma mère, tandis que toi…»

GENRE BIOGRAPHIQUE

Déjà, à l’âge de trois ans, l’auteur de ces lignes était remarquable : il avait fait le portrait de sa concierge en passe-boule, couleur terre-cuite, au moment où celle-ci, les yeux pleins de larmes, plumait un poulet. Le poulet projetait un cou platonique. Or, ce n’était ce passe-boule, qu’un passe-temps. En somme, il est remarquable qu’il n’ait pas été remarqué : remarquable, mais non regrettable, car s’il avait été remarqué, il ne serait pas devenu remarquable ; il aurait été arrêté dans sa carrière, ce qui eût été regrettable. Il est remarquable qu’il eût été regretté et regrettable qu’il eût été remarqué. Le poulet du passe-boule était une oie.

JEU SUR LE MOT « CASTE »

Je suis réconcilié avec ma mère, bien que nous ne soyons plus de la même caste. A Paris, où rien ne compte, les castes comptent. J’ai rencontré le père Vernin, ancien bistrot que mes amis et moi avons ruiné sans scrupules, parce qu’il n’est pas de notre caste et j’ai bu un verre de vin avec lui, bien qu’il ne soit pas de ma caste. Je me souviens de m’être promené dans une ville avec une courtisane qui n’est pas de ma caste et que cette ville méprisait à cause de sa caste, cependant, comme elle faisait vivre cette ville, quelques-uns lui souriaient bien qu’elle ne fût pas de leur caste. Quand je me suis réconcilié avec ma mère, j’ai frotté son parquet pour m’humilier avec les gestes d’une autre caste, mais il s’est trouvé que je l’ai frotté noir, car je ne suis pas de la caste des frotteurs : ce noir provenait des gouttes de poix que j’étendais et que pleurait le buffet. J’ai bu un verre de vin à la table de famille, mais debout, car j’avais frotté le parquet.

IL FAUT REVISER
LES GLOIRES HISTORIQUES

Il ne dédaignait pas, Hippolyte Taine, loin de là, quand il était jeune, d’aller avec des personnes comme il faut, du sexe opposé, voir jouer la Dame de chez Maxim’s, mais c’était le plus souvent avec des familles. Il avait un pardessus qui lui moulait la taille. Ce pardessus était rayé en long et portait une grosse raie rouge et une seul. Il dînait souvent dans une même famille et on s’interrogeait afin de savoir comment on s’arrangerait pour le théâtre : « Moi, j’ai déjà vu ça, disait la sœur, j’irai faire visite à Sophie. M. Taine vous accompagnera. – Aura-t-on le temps de faire le dîner ? il est déjà sept heures et demie. – Qu’à cela ne tienne, répondait Taine, j’offre à dîner à tout le monde. – Il nous doit bien cela », pensait-on. Mais le pauvre Hippolyte n’avait guère que cinq francs en poche et on était quatre. Dans le couloir, où sont pendues les robes, je m’approchais de lui : je lisais un de ses articles où il y avait des mots latins et un petit air canaille pour expliquer en quatre parties les qualités d’un discours. J’avais envie d’exprimer aussi des idées, une idée telle que celle-ci : « On est souvent injuste pour un homme qui a beaucoup apporté à sa génération, parce qu’on ne l’a pas lu, mais inversement, on est souvent trop reconnaissant à la mémoire d’un homme parce qu’on ne l’a pas lu, il en résulte…» Je ne lui aurais jamais cru une si petite figure et blonde. Cette petite figure arrêtait l’envie que j’avais de lui parler.

MŒURS LITTÉRAIRES

Quand une bande de messieurs rencontre une autre bande, il est rare que les saluts ne s’entremêlent pas de sourires. Quand une bande de messieurs rencontre un monsieur, s’il y a un profond salut, les saluts vont en diminuant et, quelquefois, le dernier de la bande ne salue pas. Il paraît que j’ai écrit que tu avais mordu une femme au bouton du sein et qu’il a coulé du sang. Si tu crois que je l’ai fait, pourquoi me salues-tu ? et si je pensais que tu l’eusses fait, te saluerais-je ? Nous nous sommes rencontrés chez une grosse dame à lunettes qui a une pèlerine de tricot, tu m’as serré la main, mais nous nous sommes trouvés dans la chambre où est la chaise percée de la dame et tu m’as jeté à la tête les coussins de la chaise percée. Ces coussins étaient très xviiie. On dit que je t’ai jeté des coussins aussi au lieu de me disculper.