Qui est Mlle Cypriani ? encore une espionne.

POÈME DANS UN GOÛT
QUI N’EST PAS LE MIEN.

A toi, Rimbaud.

Mon cheval a buté dans les doubles croches ! Les notes éclaboussent jusqu’au ciel vert de mon âme : le huitième ciel !

Apollon fut docteur et moi je suis pianiste de cœur ; sinon de fait. Il faudrait, avec les bémols et les groupes de barres, décharger des steamers griffonnés, ramasser les étendards minuscules pour composer des cantiques.

Le minuscule, c’est l’énorme ! celui qui a conçu Napoléon comme un insecte entre deux branches d’arbre, qui lui a peint un nez trop grand à l’aquarelle, qui a figuré sa cour avec des couleurs trop tendres, n’était-il pas plus grand que Napoléon lui-même, ô Ataman Prajapati !

Le minuscule, c’est la note !

L’homme porte sur lui les photographies de ses ancêtres comme Dieu avait Napoléon, ô Spinoza ! moi, mes ancêtres, ce sont des notes de harpes. Dieu avait conçu Sainte-Hélène et la mer entre deux branches d’arbre. Mon cheval noir a l’œil bon, bien qu’albinos, mais il a buté dans des notes de harpe.

POÈME DANS UN GOÛT
QUI N’EST PAS LE MIEN.

Morales et dessins envoyés par le patron d’une mauvaise maison de Hanoï, à l’Assiette au Beurre, de Paris, magazine comique ou politique qui a eu des succès vers 1900. Les dessins de Hanoï visaient au modernisme de M. d’O… ; ils étaient plutôt dignes du musée Guimet. Nous ne pouvons faire connaître ici le côté plastique de cette œuvre, en voici les conceptions morales et qui seront enviées par l’univers.

— Un vieillard ne dit pas : Je t’aime ; il dit : aimez-moi.

— Un vieillard n’a plus de vices, ce sont les vices qui l’ont.

— On n’a pas une passion pour le thé : il faut pourtant qu’on en boive. Certaines femmes sont comme le thé.

— La cinquantième nuit d’amour ! Je vais être obligé de te reconduire à la maison d’où tu sors, tu es trop exigeante.

— On a trouvé sur une plage et sous une tente le cadavre d’un vieillard : il s’était suicidé parce qu’après une perte au jeu, il ne pouvait plus entretenir les deux femmes d’un autre vieillard et ce vieillard lui-même.

— Avec les femmes, sois paternel, mais ferme.

Le dessin qui soulignait cette dernière moralité représentait un homme habillé comme le poète B… levant un bâton au-dessus d’une femme décoiffée.

Le patron de la mauvaise maison de Hanoï cherche depuis quinze ans son œuvre dans les journaux illustrés. L’Assiette au Beurre ne paraît plus, mais il juge que le fond de cette Assiette gît sur quelque table. Cet auteur improvisé, qui a fait la traite des blanches et des noires, qui a fait l’espion, le forçat, le croupier, l’agent diplomatique et l’entrepreneur des pompes funèbres, est un homme d’expérience. Il n’est pas le seul dont l’expérience surprenne par sa pauvreté.

POÈME QUI MANQUE D’UNITÉ

Tout se passe comme au temps d’Alfred de Musset. Me voici dans un hôtel meublé de la rue du Rempart : un compositeur me reproche, à la lumière de la chandelle, de n’être pas venu à l’Opéra écouter son ballet : puis, sur un vieux piano à queue, je m’exerce à soutenir des points d’orgue pendant qu’il fait des variations vocales… et il y avait dans l’alcôve une femme, mais cette femme était sa mère malade.

Me voici au bal ; on fait des conjectures : « Remarquez-vous comme elle fait de la toilette ! elle porte un turban rouge et sa fille aussi ! Elle aime, mesdames, elle aime ! L’honnête Mme de Pont-Aven est amoureuse. Tous ces turbans ! ces changements de coiffure ! Elle ne quitte pas les salons de toute une nuit parce qu’il est là ! » Quand j’entrai, deux dames me demandèrent laquelle de l’une et de l’autre je préférais et je les préférais toutes deux. Un monsieur très bien nous montra à danser la chaîne anglaise et la leçon n’en finissait pas. Par une innovation aussi hardie qu’ingénieuse, pendant que la chaîne anglaise s’organisait, on baissait le gaz (avait-on le gaz ?) et on en augmentait la lueur pendant que la musique augmentait de force. Quand la chaîne était établie, le piano allait brillamment et le gaz aussi. Innovation ! Or j’étais près de la cheminée : la maîtresse de maison me faisait envoyer des fleurs parce que j’étais malade ; ces paniers de fleurs me faisaient pleurer et rire à la fois. Le salon se remplissait de turbans et d’épaules nues : toutes ces gens avaient l’air de figurants du Théâtre Français. Deux dames disaient : « Dans notre monde on n’est pas dupe et on ne fait pas de dupes ! » Des messieurs essayaient de se rappeler une charade qui tient en deux vers, puis sortaient pour se battre en duel. On remarquait beaucoup mes joies, mes pleurs, mes fleurs près de la cheminée.

POÈME DANS UN GOÛT
QUI N’EST PAS LE MIEN.

A toi, Baudelaire.

Auprès d’un houx dont les feuillages laissaient voir une ville, don Juan, Rothschild, Faust et un peintre causaient.

« J’ai amassé une immense fortune, dit Rothschild, et, comme elle ne me donnait aucune jouissance, j’ai continué à acquérir, espérant retrouver la joie que m’a donnée le premier million.

— J’ai continué à chercher l’amour au milieu des malheurs, dit don Juan. Être aimé et ne pas aimer, c’est un supplice ; mais j’ai continué à chercher l’amour dans l’espoir de retrouver l’émotion d’un premier amour.

— Quand j’ai trouvé le secret qui m’a donné la gloire, dit le peintre, j’ai cherché d’autres secrets pour occuper ma pensée ; pour ceux-là on m’a refusé la gloire que m’avait donnée le premier et je reviens à ma formule malgré le dégoût que j’en ai.

— J’ai quitté la science pour le bonheur, dit Faust, mais je reviens à la science, malgré que mes méthodes soient démodées, parce qu’il n’y a d’autre bonheur que la recherche. »

Il y avait à côté d’eux une femme jeune couronnée de lierre artificiel qui dit :

« Je m’ennuie, je suis trop belle ! » Et Dieu dit derrière le houx :

« Je connais l’univers, je m’ennuie. »

POÈME DÉCLAMATOIRE

Ce n’est ni l’horreur du crépuscule blanc, ni l’aube blafarde que la lune refuse d’éclairer, c’est la lumière triste des rêves où vous flottez coiffées de paillettes, Républiques, Défaites, Gloires ! Quelles sont ces Parques ? quelles sont ces Furies ? est-ce la France en bonnet phrygien ? est-ce toi, Angleterre ? est-ce l’Europe ? est-ce la Terre sur le Taureau-nuage de Minos ? Il y a un grand calme dans l’air et Napoléon écoute la musique du silence sur le plateau de Waterloo. O Lune, que tes cornes le protègent ! il y a une larme sur ses joues pâles ! si intéressant est le défilé des fantômes. « Salut à toi ! salut ! nos chevaux ont les crinières mouillées de rosée, nous sommes les cuirassiers ! nos casques brillent comme des étoiles et, dans l’ombre, nos bataillons poudreux sont comme la main divine du destin. Napoléon ! Napoléon ! nous sommes nés et nous sommes morts. – Chargez ! chargez ! fantômes ! j’ordonne qu’on charge ! » La lumière ricane : les cuirassiers saluent de l’épée et ricanent ; ils n’ont plus ni os, ni chair. Alors, Napoléon écoute la musique du silence et se repent, car où sont les forces que Dieu lui avait données ? Mais voici un tambour ! C’est un enfant qui joue du tambour : sur son haut bonnet à poils, il y a un drap rouge et cet enfant-là est bien vivant : c’est la France ! Ce n’est ici maintenant autour du plateau de Waterloo, dans la lumière triste des rêves où vous flottez, coiffées de paillettes, Républiques, Défaites, Gloires, ni l’horreur du crépuscule blanc, ni l’aube blafarde que la lune refuse d’éclairer.

POÈME

« Que veux-tu de moi, dit Mercure.

— Ton sourire et tes dents, dit Vénus.

— Elles sont fausses. Que veux-tu de moi ?

— Ton caducée.

— Je ne m’en sépare point.

— Viens l’apporter ici, divin facteur. »

Il faut lire cela dans le texte grec : cela s’appelle Idylle. Au collège, un ami, souvent refusé aux examens, me dit : « Si on traduisait en grec un roman de Daudet, on serait assez fort après pour l’examen ! mais je ne peux pas travailler la nuit. Ça fait pleurer ma mère ! » Il faut lire aussi cela dans le texte grec, messieurs ; c’est une idylle,B petit tableau.

POÈME

Effacer les têtes des généraux de l’Empire ! Mais elles sont vivantes ! tout ce que je puis faire, c’est de leur changer de chapeaux : les chapeaux sont pleins de fulmicoton et ces messieurs de l’Empire ne plaisantent pas : le fulmicoton prend feu. Je ne savais pas que le fulmicoton fût un pigeon si blanc. Entrer dans ce paysage biblique ! mais c’est une gravure sur bois : une ligne de maisons inégales, une grève derrière un filet d’eau, un filet d’eau derrière un palmier.