« Je suis Léo Larguier, me dit-il alors. Bonjour, Guillaume Apollinaire. » Et nous ne nous quittâmes que le soir à l'heure de la rentrée au quartier. Ce jour-là et les jours suivants nous ne parlâmes pas de la guerre, car les soldats n'en parlent jamais, mais de la flore nîmoise dont, en dépit de Moréas, le jasmin ne fait pas partie. Quelquefois, l'aimable M. Bertin, secrétaire général de la préfecture, nous apportait l'agrément de sa conversation enjouée et d'une érudition spirituelle. La voix terrible de Léo Larguier dominait le colloque et j'en entends encore les éclats quand il nous disait le nom d'un homme de sa compagnie : « Ferragute Cypriaque. »

Un dimanche, Larguier nous emmena, M. Bertin et moi, chez un de ses amis, le peintre Sainturier, dont les dessins ont la pureté de ceux de Despiau. Sainturier vit en ermite, il est inconnu et se complaît dans son obscurité ensoleillée du Midi. Très jeune d'aspect, bien qu'ayant passé

l'âge de servir, il est robuste et travaille beaucoup et, outre ses productions, qui sont personnelles, on voit dans sa demeure des trésors artistiques que je ne soupçonnais point.

C'est là que j'ai vu un extraordinaire portrait de Stendhal qui le représente à mi-corps et vu de face. Le visage est calme et pétillant de malice contenue. C'est chez le peintre Sainturier, que je vis pour la première fois Alfred de Musset. Ses autres portraits paraissent factices quand on a vu celui-là qui est peint par Ricard. Musset est de profil.

Larguier n'en revenait pas et Sainturier promit de lui en faire une copie après la guerre. Il y a là, de Ricard aussi, un beau portrait de Manet.

Mais nous vîmes, encore chez Sainturier, un Van Dyck : Charles Ier enfant, plusieurs portraits et miniatures d'Isabey, un Greco, des esquisses de Boucher, un merveilleux Latour, deux Hubert Robert, des 21

Monticelli, une petite nature morte de Cézanne, etc., etc.

Le lendemain, je ne revis plus Larguier. Il était parti pour un camp d'instruction d'où il alla sur le front comme caporal brancardier. Nous fûmes près l'un de l'autre à la bataille de Champagne, mais nous ne pûmes nous joindre. Il y fut blessé et nous ne nous rencontrâmes que durant une de ses permissions, justement devant le n° 1 de la rue Bourbon-le-Château, cette « sombre maison » chantée par M. Fernand Fleuret.

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LES NOËLS DE LA RUE DE BUCI

Avant la guerre, c'était la nuit du 24 au 25 décembre qu'il fallait aller voir la rue de Buci, si chère aux poètes de ma génération. Une fois, dans un caveau voisin, nous réveillonnâmes, André Salmon, Maurice Cremnitz, René Dalize et moi. Nous entendîmes chanter des Noëls. J'en sténographiai les paroles. Il y en avait de différentes régions de la France.

Les Noëls ne sont-ils point parmi les plus curieux monuments de notre poésie religieuse et populaire ? Ce sont, en tout cas, les ouvrages qui reflètent peut-être le mieux l'âme et les mœurs de la province dont ils viennent.