Le premier que je notai dans ce caveau de la rue de Buci était chanté par un garçon coiffeur, né à Bourg en Bresse.

Les Noëls bressans ne sont certes pas des Noëls de temps de guerre.

Les énumérations rabelaisiennes de victuailles y contrastent avec les restrictions de l'époque dépouillée où nous vivons.

Dès que la ville de Bourg

En apprit la nouvelle,

On fit battre le tambour

Pour mettre tout par écuelles.

Les bécasses, les levrauts

Les cailles, les chapons gras

Furent pris chez Curnillon

Pour faire la bourdifaille

Furent pris chez Curnillon

Pour faire le réveillon.

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Gog porta trois dindonneaux

Et farcit une belle oie,

Et d'une longe de veau

Il fit un bon ragoût ;

Sa femme fit du boudin

Et prit chez monsieur de Choin

Une grande bassine d'argent,

Pour y, pour y, pour y mettre

Une grande bassine d'argent

Pour y mettre son présent.

On alla vite appeler

L'hôte de la Bonne École

Qui porta des godiveaux

Et prit une belle andouille ;

Il mêla des fricandeaux

Avec des oreilles de veaux

Et porta trois barillets

De mou, de mou, de moutarde,

Et porta trois barillets

De moutarde de Dijon.

Quand l'hôte de Saint-François

Entendit qu'on faisait bruire

Les poêles et les lèchefrites

Dans le quartier de Tesnière,

Il fit faire à son valet

Une potringue de poulet

Qu'on s'en léchait tout droit

Les ba, les ba, les babines

Qu'on s'en léchait tout droit

Les babines et les cinq doigts.

Dès que l'hôte de l'Écu

Vit qu'on partait, au clair de lune,

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Il mit pour quatre écus

De sucre dans la farine

Pour lui faire des gâteaux

Qui semblèrent des châteaux ;

Ils sont meilleurs que le pain

Pour les, pour les, pour les dames ;

Ils sont meilleurs que le pain

Pour les dames et les enfants.

Neren mit dessus une planche

Du boudin blanc comme neige

Et douze langues de bœuf

Qui étaient noires comme pain ;

Et puis de son bon vin vieux

Que j'ai souvent bu,

Et boirai, s'il plaît à Dieu.

Jusqu'à, jusqu'à, jusqu'à Pâques,

Et boirai, s'il plaît à Dieu,

Plus qu'il ne veut m'en donner.

A nous deux, père Alexis,

Il nous faut faire une offrande

Et nous joindre cinq ou six

Pour toucher une sarabande ;

Avec notre gros bourdon

Nous chanterons tout de bon ;

Noël, Noël est venu

Nous ferons la bourdifaille

Noël, Noël est venu,

Nous ferons du brouet moulu.

Après ce Noël de réveillon, en voici un autre plus gracieux qui a été

entendu encore il y a quelques années aux environs de Saint- Quentin.

J'en donne la version que j'ai notée rue de Buci.

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Chantons, je vous prie,

Noël hautement

D'une voix jolie

En solennisant

De Marie pucelle

La Conception

Sans originelle

Maculation.

Cette jeune fille

Native elle était

De la noble ville

Dite Nazareth,

De vertu remplie

De corps gracieux

C'est la plus jolie

Qui soit sous les cieux.

Elle allait au Temple

Pour Dieu supplier ;

Le conseil s'assemble

Pour la marier ;

La fille tant belle

N'y veut consentir,

Car Vierge et pucelle

Veut vivre et mourir.

L'Ange leur commande

Qu'on fasse assembler

Gens en une bande,

Tous à marier ;

Et duquel la verge

Tantôt fleurira

A la noble Vierge

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Vrai mari fera.

Tantôt abondance

De gentils galants

La vierge plaisante

S'en vont souhaitant ;

A la noble fille

Chacun s'attendait,

Mais le plus habile

Sa peine y perdait.

Joseph prit sa verge,

Pour s'y en venir :

Combien qu'à la Vierge

N'eût mis son désir ;

Car toute la vie

N'eut intention

Vouloir ni envie

De conjonction.

Quand furent au Temple

Trétous assemblés,

Étant tous ensemble

En troupe ordonnés,

La verge plaisante

De Joseph fleurit,

Et au même instant

Porta fleur et fruit.

En grande révérence

Joseph on retint,

Qui par sa main blanche

Cette vierge print

Puis après le prêtre,

Recteur de la loi,

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Leur a fait promettre

A tous deux la foi.

Baissant les oreilles

Ces gentils galants

Tant que c'est merveille,

S'en vont murmurant

Disant c'est dommage

Que ce père gris

Ait en mariage

Cette vierge pris.

La nuit ensuivante,

Autour de minuit,

La Vierge plaisante

En son livre lit,

Que le Roi céleste

Prendrait nation

D’une pucelette

Sans corruption.

Tandis que Marie

Ainsi contemplait

Et du tout ravie

Envers Dieu était,

Gabriel archange

Vint subitement

Entrant dans sa chambre

Tout visiblement.

D’une voix doucette

Gracieusement

Dit à la fillette

En la saluant :

Dieu vous gard, Marie,

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Pleine de beauté,

Vous êtes l’Amie

Du Dieu de bonté.

Dieu fait un mystère

En vous merveilleux,

C'est que serez mère

Du roi glorieux ;

Votre pucelage

Et virginité

Par divin ouvrage

Vous sera gardé.

A cette parole

La Vierge consent,

Le Fils de Dieu vole,

En elle descend.

Bientôt fut enceinte

Du prince des Rois,

Sans mal ni complainte

Le porta neuf mois.

La noble besogne

Joseph pas n'entend.