Ce Sauveur tant aimable

In nocte média

Est né dans une étable

De Casta Maria.

Ce soir-là j'ai noté encore ce Noël d'une province que dévaste la guerre, la Champagne de La Fontaine et de Paul Fort : 34

Les filles de Cernay

Ne furent endormies.

Avecque beurre et lait

Aux champs ell's se sont mies,

Et celles de Taissy

Ont passé la chaussée

Après avoir ouï

Le bruit

Et le charmant débat

La, la !

De cell's de Sillery.

Et pour en finir quelqu'un chanta un gracieux Noël d'enfant dont la date doit être récente. En voici un couplet:

Une petite abeille

Bourdonnant en frelon

s'approcha du poupon,

Lui disant à l'oreille

J'apporte du bonbon ;

Il est doux à merveille ;

Goûtez-en mon mignon.

On peut avoir cent impressions différentes de la vieille rue de Buci.

Je les donne toutes pour celles que j'y ai éprouvées en entendant chanter ces Noëls, une nuit de réveillon, peu d'années avant la guerre.

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DU « NAPO » A LA CHAMBRE D'ERNEST LA JEUNESSE

Il m’arrive d’aller passer un moment à la fin de la journée à la terrasse du « Napo », dont les glaces sont réputées. Le Café Napolitain, sur les boulevards, eut naguère une grande vogue comme café littéraire.

On y voit encore des gens de lettres et des gens de théâtre. Mais la grande époque littéraire, c'était avant la guerre, quand il était fréquenté

par Jean Moréas, Catulle Mendès, les Silvain, et surtout par Ernest La Jeunesse qui y trônait au milieu de courtisans...

Ce n’est pas là que je connus l'auteur du Boulevard...

Un jour, en 1907, au moment de quitter le boulevard des Italiens pour reprendre la rue de Grammont, mon attention fut attirée par un morceau de papier blanc qui feuillolait devant moi.

Instinctivement, je saisis au vol ce que je prenais pour un prospectus.

Mais au même instant, ayant levé les yeux, j’aperçus, au troisième étage de la maison près de laquelle je me trouvais, un personnage masqué qui se retira vivement en me criant : « Gardez bien ce papier, monsieur, je descend à l’instant pour le reprendre. »

J’attendis cinq ou six minutes, et ne voyant personne venir, j’entrai dans la maison et voulus remettre le morceau de papier au concierge, pour qu’il le remît au locataire du troisième, mais le concierge me répondit : « Vous vous trompez sans doute ; le troisième n’est pas habité. C'est un appartement de 12.000, et il est à louer. »

Sans manifester aucun étonnement, je fis semblant de relire une adresse sur le pli que j’avais apporté et alléguant une erreur de numéro, j’allais sortir en m’excusant, quand, au moment d’ouvrir la porte vitrée, je vis passer devant moi, en courant, mon masque qui se démasquait.

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C’était un homme complètement rasé et blond, à ce qui me parut.

Les petits événements qui venaient de se produire étaient d'une apparence si mystérieuse que je n’avais plus du tout envie de rendre le papier perdu. J’étais intrigué et inquiet à la fois. Je me retournai vers le concierge et lui demandai quelques renseignements sur l'appartement en question, disant que justement je cherchais à me loger et qu'il se pourrait bien, après tout, que je m’installasse sur le boulevard.

Quelques instants plus tard, je visitais en compagnie du concierge les chambres vides du troisième étage, où je ne vis rien qui parût se rapporter à l’étrange affaire à laquelle je m’intéressais. Je partis vite, ayant hâte de regarder de près ce morceau de papier qui, j’en étais sûr, devait contenir un grave secret.

Dans la rue, je ne vis pas l’homme. Comme j’y comptais, ne me voyant plus, et s’étant rendu compte du haut de son troisième que je me dirigeais par la rue de Grammont, il devait l’avoir prise et présentement pensait courir après moi et finir par me rattraper.

Je rebroussai chemin, m'engageai dans la rue de Richelieu et gagnai le Palais-Royal où, dans une brasserie tranquille, je m’efforçai de déchiffrer le contenu du document inquiétant. J’y vis, tracés d'une main inexperte, les signes suivants : A. B. C.