L'appartement est meublé avec une riche simplicité.
Beaucoup de livres, mais bien choisis. Un policeman en laine rembourrée varie ses attitudes et change de place selon l'humeur du maître de la maison. Au-dessus de la cheminée de la pièce principale se trouve une toute petite caricature de moi-même par Picasso. De grandes fenêtres s'ouvrent sur un mur situé à trois mètres environ, et, si l'on se penche un peu, on voit, à gauche, les gazomètres dont l'altitude n'est jamais la même, et, à droite, la voie du chemin de fer. La nuit, six cheminées gigantesques de l'usine à gaz flambent merveilleusement : couleur de lune, couleur de sang, flammes vertes ou flammes bleues. O
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Pierre Mac Orlan, Baudelaire eût aimé le singulier paysage minéral que vous avez découvert à Auteuil, quartier des jardins !
Si M. Riciotto Ganudo n'avait déménagé d'Auteuil, pour aller fonder Mont-joie dans le centre de Paris, une légende se serait formée à
Auteuil à propos de la chambre qu'il habitait dans un hôtel situé à
l'angle de la rue Raynouard et de la rue Boulainvilliers. Je n'ai jamais vu cette chambre, mais beaucoup d'habitants d'Auteuil ont eu l'occasion d'y regarder et il n'était jadis question que de cela dans les cafés du quartier, en autobus et dans le métro. Ce qui étonnait les habitants d'Auteuil, c'est que M. Canudo, qui habitait le même hôtel, n'y logeait point en garni. Il paraît qu'en effet il était dans ses meubles, c'est-à-dire un petit lit, une table, une chaise et une étagère supportant des livres. Le lit, disait-on, était fort étroit et j'ai entendu un habitant d'Auteuil dire en parlant d'une femme maigre : « Elle ressemble au lit de M. Canudo. »
On disait aussi que les rideaux de cette chambre étaient toujours tirés et que nuit et jour il y brûlait un grand nombre de bougies. Si bien que l'on prenait M. Canudo pour le grand prêtre d'une religion nouvelle dont il accomplissait les rites dans sa chambre. Quelques feuilles de lierre répandues ça et là donnaient lieu à des suppositions singulières, et celle qui rencontrait le plus de crédit était que M. Canudo se servait du lierre dans des opérations magiques dont on n'avait pas encore deviné le but.
Et c'est ainsi qu'à Auteuil les bonnes gens voyageaient agréablement et curieusement autour de la chambre de M. Canudo.
Mais descendons vers la Seine. C'est un fleuve adorable. On ne se lasse point de le regarder. Je l'ai chantée bien souvent en ses aspects diurnes et nocturnes. Après le pont Mirabeau la promenade n'attire que les poètes, les gens du quartier et les ouvriers endimanchés.
Peu de Parisiens connaissent le nouveau quai d'Auteuil. En 1909 il n'existait pas encore. Les berges aux bouges crapuleux qu'aimait Jean Lorrain ont disparu. « Grand Neptune », « Petit Neptune », guinguettes du bord de l'eau, qu'êtes-vous devenus ? Le quai s'est élevé à la hauteur du premier étage.
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